L'Auditorium et son public

Dans le texte précédent on apprend que l'Espagne connait un fort essor dans le domaine de l'accessibilité à la musique. C'est l'engagement du public lui même, qui à travers la collectivité locale, a permis l'effervescence de somptueux édifices dans les grandes villes ibériques.
En observant les différents Auditorium en espagne, on trouve des différences mais surtout de grandes similarités.

Quand on regarde la définition d'un Auditorium, on remarque que le mot "salle" est employé. Certaines définitions font aussi appel au terme de "public" ou même "d'espace musicale". Mais comment, en Espagne, les auditoriums sont construit et ont ils les mêmes caractères?

Cette étude se fonde sur une liste exhaustive d'auditoriums Espagnole. Tout d'abord, si on se base sur des critères purement physiques, matériels et esthétique, on remarque qu'il y a déjà de fortes divergences.
Certains Auditoriums font appel à des formes historiques et culturelles.






1 : Palacio de Festivales de Cantabria
2 : Teatro Auditorio Ciudad de Alcobendas
3 : palau de la musica catalana
4 : Palacio de Congresos y de la Ópera Coruna
5 : Alfredo Kraus Auditorium


Ce côté traditionnel et historique à l'auditorium lui donne une image de symbole majestueux, presque égale à un édifice religieux. Leur dimensions exaltés controversé par une porosité réduite, marque la présence d'un espace interne , clos et spécifique à une discipline.

Etant donné la diversité géographique que l'Espagne connait, certain Auditorium on du s'adapter à des sites, parfois très contraignants.



6 : Auditorio de Galicia
7 : Teatro Auditorio Cuenca

Il peut être intéressant de se demander pourquoi certains auditorium sont installé sur des sites d'accès légèrement complexe pour amélioré le cadre visuel, alors que la salle principale est perméable à tout dégagement visuel.
Dans d'autre cas, c'est le besoin ou l'envi du public espagnole qui sont à l'origine de la construction de salles. On aperçoit donc des auditoriums complètement différents de se qu'on vient de voir. Ce sont des cas ou les édifices ne sont pas symbolique ou ne cherche pas une relation quelque conque avec l'environnement avoisinant.





8 : Auditorium Palma de Mallorca
9 : L’ Auditori
10 : Auditori Enric de Granados


Dans ces derniers cas on ressent vraiment l'auditorium comme bâtiment fermé et ce centralisant en son cœur pour l'application d'une discipline. La construction est simple (sans connotation péjorative) est ne symbolise pas une spécialité du bâtiment.
Par contre, on peut voir certain auditorium très moderne et utilisant les dernières technologies pour exprimé un caractère particulier et cherchant à s'exprimer uniquement par leurs volumes.








11 : Auditorio Nacional de Música
12 : Auditorio Ciudad de León
13 : Auditorio de Tenerife
14 : Palacio de Congresos y Auditorio de Navarra
15 : Palacio Euskalduna de Congr esos y de Música
16 : Palacio de Congreso y Auditorio Kursaal

A travers cette étude des auditoriums on remarque que quelque soit leurs formes, leurs styles, leurs origines ou leurs situations, tous ces auditoriums consistent en des salles fermées, opaque avec l'extérieur et spécifique à des disciplines précises (ce ne sont pas des salles polyvalentes). Pour une activité qui exalte à la demande du public, on peut se demander pourquoi c'est au public d'aller dans des lieux clos pour apprécier la richesse de la musique et non pas la musique qui va au public. Aucun de ces auditoriums traité précédemment se pose la question de l'espace public, de la musique publique et du partage des lieux musicaux.

LECTURE

EUPALINOS
Paul Valery
1921

Quand les facades peuvent chanter...

AUDITORIUM ESPAGNE

La salle idéale s’entend donc comme étant au service de la musique, de ses musiciens et ouverte sur la ville. Que nous soyons donc encore loin du modèle
idéal en France est une évidence.Prendre en compte l’ensemble de ces données
est néanmoins essentiel. C’est à ce prix que l’on pourra construire en France des salles lui permettent de faire consensus entre décideurs et financeurs, professionnels et public, sur : la reconnaissance du travail des orchestres comme devant bénéficier de conditions qui en permettent le plein épanouissement, la nécessité pour le public de trouver dans les salles de véritables lieux d’accueil, qui accompagnent son plaisir musical et lui donne l’envie de revenir, toujours plus nombreux.

Espagne : des salles de concerts exemplaires
(conférence et débat 2004)

L’ Espagne offre l’exemple d’une politique volontariste d’aménagement culturel du territoire. José Manuel Garrido décrit un plan ambitieux de construction de salles, initié par le gouvernement espagnol au milieu des bannées 80. Aujourd’ hui, plus de 20 capitales régionales disposent d’un auditorium permettant d’écouter un concert symphonique dans des conditions excellentes. Le plan national a généré un véritable cercle vertueux: plusieurs villes n’ayant pas bénéficié du plan ont souhaité se do ter d’infrastructures musicales ; la construction de salles a suscité la création d’orchestres et le perfectionnement des orchestres existants.

Après avoir retracé l’essor des orchestres espagnols depuis la fin du franquisme, Abili Fort dresse un bilan optimiste de leur situation actuelle : un financement très majoritairement public qui témoigne de l’engagement des collectivités locales, un réseau national particulièrement dense, un public fidèle et en constante augmentation.

José Manuel Garrido
Directeur général du Teatro de Madrid

Abili Fort Manero
Directeur général de l’Orquestra Simfònica de Balears

Interventions présentées par
George Schneider,
Directeur général de l’Ensemble orchestral de Paris



[…]Au risque de me répéter, je rappellerai une chose : quel que soit le talent des musiciens qui composent un orchestre ou du chef qui les dirige, il s’exerce au sein d’un instrument qui rend tout possible ou impossible, et qui s’appelle la salle de concerts. C’est un élément absolument indispensable à l’expression de la musique. Tant que dans notre pays, il n’y aura pas la volonté politique de se saisir de ce problème, au niveau de l’Etat et des collectivités territoriales, la vie musicale marchera sur un seul pied. Il est presque désespérant de constater que l’argent investi dans la vie musicale française risque d’ être employé à perte.

Pour sa part, l’Espagne, depuis trente ans, a pris les choses en main: au moins 50 salles ont été construites, toutes plus belles les unes que les autres. Aucune ne correspond à ce que nous connaissons sous la dénomination de salles polyvalentes, dans lesquelles à force de vouloir tout faire, on ne fait rien de bien. Pour nous aider à comprendre comment ce miracle s’est opéré, je cède la parole à José Manuel Garrido.

José Manuel Garrido,
Directeur général du Teatro de Madrid

Je vous remercie de m’avoir invité à participer à votre conférence, pour partager ainsi avec vous cette expérience très importante qui s’est développée dans mon pays depuis les années 80, à travers le Plan national des auditoriums. Ce plan a été le moteur essentiel de l’essor récent de la musique en Espagne. Il est aujourd’ hui tellement enraciné que toutes les villes espagnoles aspirent à avoir un auditorium.

Avant de commencer, j’aimerais souligner que j’ interviens à titre personnel : je ne représente ici aucune instance du gouvernement, même si j’ai été invité pour avoir été l’un des initiateurs du Plan national des auditoriums, en tant que directeur général de la musique et du th é â tr e, puis sous - secrétaire du ministre de la Culture entre 1982 et 1992. Depuis dix ans, en effet, je me consacre à la production théâtrale et de danse. Je suis directeur du théâtre de Madrid, un théâtre spécialisé dans la danse qui est propriété municipale mais sous gestion privée ; je dirige également le Festival de théâtre des régions autonomes.
Au cours des dernières décennies, la situation de la musique en Espagne a donc considérable
ment évolué: les auditoriums et les orchestres se sont multipliés, des centaines de théâtres ont été réhabilités et peuvent désormais accueillir des représentations musicales ou lyriques.

Quel a été le point de départ de cette transformation?

Durant la majeure partie du X Xe siècle, très peu de salles ont été construites en Espagne. On peut mentionner le Filarmónica de Bilbao au début du siècle, le Palau de la Música Catalana à Barcelone construit en 1918 par l’architecte Domènechi Montaner, le Filarmónica d’Oviedo construit en 1944 par l’architecte Emilio García Martínez, et l’auditorium de Palma de Majorque, construit à la fin des années 60 par Marcos Ferragut.

A Madrid, le gouvernement de Franco a décidé dans les années 60 de reconvertir le Teatro Real en salle de concerts. Je précise qu’à l’époque, il existait un fort courant d’opinion en faveur de la réhabilitation de ce bâtiment en opéra, conformément à sa vocation d’ origine, mais cette option n’avait pas été retenue. Le Teatro Real est alors devenu le centre de la vie musicale madrilène, jusqu’à la construction de l’auditorium national de musique il y a quelques années.
En 1978, au début de la transition politique, une autre salle a également été construite : le théâtre Manuel de Falla à Grenade. José García de Paredes, l’architecte de ce bâtiment, est peut-être le premier à s’être spécialisé dans la construction d’auditoriums. Il a été particulièrement influencé par Hans Sharoum.

Tel était le panorama des salles espagnoles en 1982. L’ offre musicale était concentrée à Madrid et Barcelone. Quelques orchestres parvenaient
à survivre en province, comme à Bilbao ou Oviedo. Des festivals comme le Festival international de Grenade, celui de Santander ou d’ autres plus modestes tentaient de pallier l’absence d’une offre musicale structurée et régulière. Le changement est d’abord intervenu à Madrid, où ceux qui réclamaient depuis plusieurs années la création d’une salle d’op é ra ont finalement été entendus. Madrid était en effet la seule capitale européenne à ne pas disposer d’Opéra. Dès le départ, l’idée de construire une nouvelle salle financée par l’Etat a été écartée. Il a donc été décidé de reconvertir, une fois encore, le Teatro Real, afin que celui - ci retrouve la vocation lyrique qui avait présidé à sa construction, au X I X
e siècle.
La reconversion du Teatro Real n’était pas une opération facile, puisque ce bâtiment abritait le siège des deux compagnies nationales de ballet,
le conservatoire de musique de Madrid, l’école des arts dramatiques de Madrid et le siège de l ’ Orchestre national d’Espagne. Il fallait donc trouver ou construire des centres aptes à accueillir ces différentes institutions. C’est dans ce cadre qu’a été entreprise la construction d’un auditorium à Madrid. Il est important de rappeler le contexte général de l’époque : l’Espagne était en train de connaître un processus de décentralisation approfondie, qui a abouti à la création des régions autonomes (Comunidades autónomas ).

Cette évolution a largement déterminé les politiques culturelles de l’époque puisque dès le départ, l’un des principes fonda mentaux du Plan national des auditoriums était le partage des responsabilités entre les différents échelons administratifs: ministère de la Culture, municipalités, provinces et régions autonomes.

Le ministère de la Culture a joué un rôle important, notamment en participant financièrement aux projets et en intervenant dans le choix des architectes. Cependant, dans la plupart des cas, la gestion était déléguée à l’administration qui allait recevoir le projet, à savoir les municipalités ou les régions autonomes. Aucune formule“ mathématique” n’a été appliquée : la participation financière de l’administration centrale était plus ou moins élevée, en fonction des capacités d ’ investissement des autorités locales. Chaque projet était fait “sur mesure ”. Le Plan national des auditoriums est le plus ambitieux jamais réalisé pour la musique en Espagne. Ses résultats apparaissent aujourd’ hui extrêmement positifs, en dépit de quelques erreurs de parcours. Ces nouvelles infrastructures
musicales ont en effet permis d’entendre des orchestres dans plus de 20 capitales régionales et dans des conditions excellentes. Par ailleurs, la création de nouveaux orchestres ou le perfectionnement des orchestres existants est devenu un impératif, permettant ainsi laconstitution d’un tissu musical particulièrement dense.



Nous pourrions, en termes évolutionnistes, nous demander si la fonction détermine l’organe ou si l ’ organe détermine la fonction: est -ce la poule qui fait l’oeuf ou l’oeuf qui fait la poule ?
L’ apparition d’un espace voué aux activités musicales peut être effectivement le fruit d’une demande, mais les politiques culturelles ne doivent pas se limiter à satisfaire des besoins identifiés a priori. Il a été démontré que l’existence d’ un auditorium proposant une programmation régulière à une population déterminée crée, d’elle même, une demande que parfois l’on ne soupçonnait pas.
C ’ est ce qui s’est passé au Teatro Real à Madrid. Cette salle est aujourd’ hui devenue indispensable pour la ville. Elle sert même pour des opérations de marketing: que ferait le jambon Jabugo sans le Teatro Real ! Plus sérieusement, la création d’un auditorium contribue de manière décisive à la formation d’un public et enrichit par elle - m ê me la vie musicale d’une ville.

Le Plan national des auditoriums a été rendu public en 1985, Année européenne de la musique. Cette même année a été annoncée la reconversion du Teatro Real. Je me souviens des critiques d’un directeur d’orchestre espagnol selon lequel il ne fallait pas construire d’auditoriums mais plutôt aider les orchestres. Vingt ans après, je pense que si je rencontrais à nouveau ce directeur, il conviendrait avec moi que le panorama musical espagnol a considérablement changé et qu’ une part importante de cet essor est due à la construction d’infrastructures. Même si, bien évidemment, des problèmes persistent toujours en Espagne, notamment dans le domaine de l’éducation musicale. Pour saisir l’ampleur du projet, il faut également mentionner l’existence d’un Plan de réhabilitation des théâtr es publics, parallèle au Plan national des auditoriums. Ce plan est né d’un accord tripartite entre le ministère des Travaux publics, le ministère de la Culture et les municipalités qui sont les propriétair es des théâtres.

Dans ce cadre, plus de 100 salles ont été réhabilitées et un réseau de théâtres a été constitué .
Ces bâtiments accueillent parfois des activités musicales, notamment dans les villes qui ne disposent pas d’un auditorium exclusivement dédié à la musique. L es effets directs du plan national ont donc été la création d’orchestres, des espaces musicaux stables dans les villes, une augmentation de l ’ offre et de la production musicale. Mais ce plan
a également eu des effets indirects : par mimétisme, de nouvelles salles ont été construites ou sont en train d’être construites en dehors du plan national, l’initiative provenant des régions autonomes en collaboration avec des municipalité s. C’est notamment le cas de Saragosse et de La Corogne, qui ont des auditoriums magnifiques. La spécialisation des auditoriums sur des activités strictement musicales dépend des infrastructures existantes. Dans les grandes villes qui possèdent, entre autres, des équipements spécifiques pour le théâtre et la danse, l’auditorium est très spécialisé. En revanche, dans des villes plus petites, l’auditorium peut éventuellement être utilisé pour les arts scéniques ou comme palais des congrès.

Finalement, la principale raison du succès du Plan national des uditoriums est le travail en commun des différentes administrations espagnoles, au - delà des divergences politiques, chacune ayant un rôle bien défini.
La question est aujourd’ hui de savoir ce que nous allons faire de ces infrastructures... Sans développer ce sujet, je souhaite vous soumettre
quelques interrogations:
comment gérons nous ces structures?
Y a-t-il de l’argent pour entretenir les salles ?
Quel type de gestion menons nous?
S’agit - il d’une gestion publique, privée ou mixte?
Qui doit diriger ces théâtres: le directeur artistique ou le gestionnaire ?
Un tel débat doit être mené dans mon pays, afin de rentabiliser les efforts considérables qui ont été réalisés depuis vingt ans.

Abili Fort
Directeur général de l’Orquestra Simfònica de Balears

En très peu de temps, la création ou la consolidation des orchestres dans notre pays a été extraordinaire. Nous sommes passés d’un pays
qui ne comptait pas sur la scène orchestrale internationale à un pays à la hauteur de n’importe quel autre en Europe. Naturellement, il nous manque la tradition, mais nos orchestres réalisent des tournées et enregistrent des disques comme n’importe quel orchestre européen.

Après un rapide historique, je présenterai quelques données sur la situation actuelle des orchestres espagnols.

Malgré le chaos et la misère qui régnaient dans le pays après la guerre civile, le pays a vu naître trois orchestres en quelques années : l ’ Orchestre national d’Espagne en 1940, l’orchestre de Valence en 1943 et l’orchestre de Barcelone en 1944. Il faut ensuite attendre presque vingt ans pour qu’ en 1966 soit créé l’Orchestre de la radio télévision espagnole à Madrid. Il existait d’ autres orchestres, six tout au plus, mais qui

n’ avaient qu’ un statut semi - professionnel. La vie artistique de ces orchestres était plutôt langoureuse et médiocre comparée à celle des

orchestres européens. Très irrégulières, ces formations dépendaient exclusivement du niveau du chef d’orchestre qui les dirigeait.

Leur financement provenait toujours des fonds publics. Les quatre orchestres subventionnés étaient constitués d’un corps de fonctionnaires.

De ce fait, et depuis le tout début déjà, ces orchestres n’étaient pas très concurrentiels. Jusqu’à récemment, l’opinion des mélomanes

était que tout orchestre étranger était meilleur qu ’ un orchestre espagnol. Une opinion qui heureusement a beaucoup changé de nos jours.

Cependant, le fonctionnariat a permis à ces orchestres de survivre, même dans les périodes les plus sombres. Avec la transition démocratique initiée en 1978 s’ est ouverte une nouvelle étape pour le pays et pour la musique. Une véritable explosion culturelle s’est produite : en quelques années, nous avons rattrapé quarante ans de dictature. Le transfert de la culture aux régions autonomes ainsi que l’amélioration de la situation économique ont encouragé les responsables politiques à créer ou renforcer les orchestres symphoniques sur leur territoire. La situation n’est

pas comparable à la planification minutieusement préparée de Marcel Landowski en France dans les années 60: en Espagne, il n’y a pas eu de planification générale, chaque région autonome étant libre d’utiliser ses compétences. Actuellement, parmi les 16 régions autonomes existantes, quatre seulement n’ont pas d’orchestre : Aragon, Cantabrie, Castille La Manche et La Rioja. Mais par exemple, Saragosse et Santander, qui sont les capitales d’Aragon et de Cantabrie, ont une salle de concerts.

En 1982 naît l’orchestre d’Euskadi à Saint - Sébastien. Plus tard, entre en force celui de Bilbao. D’autres orchestres sont créés pendant ces années, comme ceux des Asturies, de Malaga, de Cordoue, de Grenade et de la région autonome de Madrid. Ils renforcent ceux de Barcelone, Valence, Palma de Majorque, Tenerife et Las Palmas. Dans certains cas, une structure ancienne est reprise et renouvelée, tandis que dans d’autres, la structure ancienne disparaît au profit d’une autre complètement nouvelle.

Dans les années 80, une activité frénétique agite le monde de l’orchestre espagnol. Les besoins des orchestres en musiciens sont très importants,
mais les conservatoires, ancrés dans le passé, ne peuvent pas répondre à cette demande. L’inanité de ces institutions est alors mise en évidence. La nécessité d’importer des musiciens conduit à une avalanche de musiciens étrangers, qui provoque l’aversion des conservatoires face aux orchestres et, de ce fait, de l’opinion publique. Ainsi, pendant quelques années, les orchestres ont - ils dû subir les critiques d’une opinion qui condamnait l’engagement de musiciens étrangers au détriment des musiciens espagnols. Surtout pour les instruments à cordes. Mais la réalité a fini par s’imposer et les critiques ont cessé : le manque de musiciens était manifeste et l’amélioration du niveau de professionnalisme a été reconnue. Ceci a conduit à la réorganisation des conservatoires qui nous permet, à présent, d’avoir un plus grand nombre de musiciens espagnols de niveau européen.
Sur le terrain éducatif, la création du jeune Orchestre national d’Espagne a beaucoup contribué à ce changement d’opinion. Grâce à des bourses, plusieurs générations de jeunes musiciens ont eu l’occasion d’aller étudier à l ’étranger, ce qui a contribué à une considérable amélioration du niveau.

C’ est aussi pendant cette même période qu ’est né le Plan national des auditoriums. Les nouvelles salles, en plus d’accueillir des orchestres
déjà existants, ont provoqué la création d’orchestres nouveaux tels que celui de La Corogne, Séville ou Murcie.

[…]

L’ avenir est toujours incertain mais si nous devions faire des prédictions, nous aurions deux atouts. Le premier est que le public de nos orchestres ne cesse d’augmenter. Le deuxième est que, puisque nous sommes entrés plus tard dans le monde culturel musical, nous pouvons apprendre de l’expérience des autres et nous préparer aux problèmes qui peuvent surgir. Avec ces deux éléments, nous ne pouvons qu’être optimistes face à l’avenir proche.




LA DANSE EN ESPAGNE

LE BOLERO

Danse espagnole (bolero : celui qui danse le bolero ; vient de bolla : boule), à 3/4, dans un tempo modéré, d'un style calme et noble ; on l'exécute avec chant et castagnettes, voire guitare et tambour de basque. Le boléro semble avoir été connu au XVIIe siècle, mais c'est vers 1780 qu'Antón Boliche et Sebastian Cerezo en enrichirent la forme primitive. Il a disparu comme danse populaire. Il comprenait cinq figures : paseo (promenade), traversia (premier changement de place), diferencia (deuxième changement), finale (retour à la place du début), bien parado (attitudes étudiées et poses conclusives). Le boléro a inspiré maints compositeurs, notamment les Espagnols Murguia (1758-1836) et Sors (1778-1839), avant Chopin (opus 19) et Ravel. Celui-ci écrivit à ce sujet : « En 1928 [...], j'ai composé un boléro pour orchestre. C'est une danse d'un mouvement très modéré et constamment uniforme, tant par la mélodie et l'harmonie que par le rythme, ce dernier marqué sans cesse par le tambour. Le seul élément de diversité y est apporté par le crescendo orchestral. » Ce ballet en un tableau, où le thème musical est repris dix-neuf fois en une sorte de grande passacaille, fut créé à l'Opéra de Paris, le 20 novembre 1928, dans une chorégraphie de Nijinskaïa. Signalons enfin que le boléro est une chanson et une danse cubaines au rythme binaire et syncopé, altération vraisemblable du boléro importé d'Espagne.

CACHUCHA

Chant et danse populaires espagnols, répandus en Andalousie, de rythme ternaire (3/4, 3/8) et de tempo modéré, proches du boléro. La cachucha (parfois francisée en cachouche) est chantée et dansée en solo, par un homme ou par une femme, qui joue des castagnettes et qu'accompagne un guitariste. Cette danse fut fort en vogue en France au début du XIXe siècle. Lors de la création à l'Opéra de Paris du ballet Le Diable boiteux (1836), de Casimir Gide, la célèbre danseuse autrichienne Fanny Elssler (1810-1884) interpréta superbement la cachucha que contient cette œuvre.

CANARIE

Danse d'origine espagnole (îles Canaries), qui fut adoptée en France et connut une très grande vogue au XVIe siècle. Le rythme ternaire (3/8, 6/8, 6/16, 3/4) de la canarie s'apparente à celui de la gigue, dans un tempo très rapide ; la première note de chaque mesure est accentuée (rythme pointé « à la française »). Cervantès nous apprend que le canario est dansé par une seule personne ; mais, en France, la canarie fut une danse de couple. T. Arbeau en donne une savoureuse description (Orchésographie..., 1589), tout en soulignant son origine étrangère et son caractère osé ( !) : « ... et noterez que les dits passages [c'est-à-dire les pas] sont gaillards et néanmoins étranges, bizarres et ressentent fort le sauvage à voir le plaisir qu'y prennent les spectateurs ». Purcell, Lully, Couperin, Muffat, Cousser écrivirent des canaries.

CASTAGNETTTES

Instrument de percussion idiophone à son indéterminé, très populaire en Espagne. Il se compose de deux morceaux de bois dur, en forme de coquille, percés et reliés par une cordelette. Pour jouer, on entrechoque une castagnette aiguë, la hembra (femelle), et une castagnette plus grave, le macho (mâle). Dans les danses folkloriques, on se sert de deux paires à la fois. Dans l'orchestre symphonique, on fixe le jeu de castagnettes à un manche en bois que l'on secoue à la manière d'un sistre. Wagner, Richard Strauss, Glinka, Chabrier et, naturellement, les compositeurs espagnols s'en sont servi les premiers. Il existe aussi des castagnettes en fer, à manche et sur socle.

CHACONNE

En Espagne au XVIe siècle, danse populaire à trois temps très animée ; elle s'accompagne avec des castagnettes et revêt alors un certain caractère érotique. On la dit originaire du Mexique, mais il semble que ce soit au Portugal qu'apparaissent, dans le genre ostinato, le passo forçado et les danses dérivées : la folia, le vil ao et la chacota qui précèdent la chacona espagnole. À l'époque baroque, c'est une danse de cour à 3/4, à tempo lent, avec variations contrapuntiques sur un ostinato de quatre ou huit mesures, en une phrase complète mélodico-harmonique (anacrouse-apex-désinence). La basse contrainte dans la chaconne instrumentale apparaît en Italie avec Frescobaldi, B. Pasquini, F. Mannelli et T. Merula. On peut en rapprocher le ground des Anglais. Elle est composée pour elle-même ou s'intègre dans une suite ou une partita. Elle figure dans les ballets de Louis XIII, les opéras de Lully. Vocale (chez Monteverdi, Purcell) ou instrumentale (Couperin, Pachelbel, Élisabeth Jacquet de La Guerre, Muffat, Corelli), elle connaît une grande vogue. Sa structure permit aux génies de la variation de s'épanouir : de Buxtehude (chaconnes majestueuses pour orgue) à Krenek et Busoni, en passant par Bach (chaconne pour violon), Rameau (Dardanus), Beethoven (Variations en ut mineur), Brahms (IVe Symphonie). On la rapproche de la passacaille avec laquelle elle se confond parfois.

FANDANGO

Danse populaire espagnole, qui peut être chantée. Connu dès le XVIIe siècle, le fandango est de rythme ternaire (3/4) et de tempo assez rapide (allegretto) ; il était autrefois un 6/8 lent. L'étymologie arabe du terme semble douteuse ; on lui préfère une origine africaine. La danse fut introduite en Europe par les Espagnols qui revenaient des Indes occidentales après avoir fréquenté les Noirs déportés de Guinée. Le couple de danseurs qui exécute le fandango évolue sans se toucher, en jouant des castagnettes, tandis qu'un guitariste accompagne et, parfois, chante. Le fandango mime la déclaration d'amour et décrit ordinairement les phases suivantes : hommage à la dame, refus de celle-ci, essai de séduction et fuite de la jeune femme, colère et rage du danseur, seconde déclaration de l'homme, acceptation de la partenaire. Il existe plusieurs variétés locales de fandangos : malagueña, rondeña, granadina, murciana, asturiana, etc. En Europe non espagnole, la vogue du fandango fut considérable : Gluck, Mozart, Boccherini en écrivirent au XVIIIe siècle, Rimski-Korsakov introduisit un « fandango asturiano » dans le Capriccio espagnol. Quant aux compositeurs de la péninsule Ibérique, on ne compterait plus les leurs : Albéniz (Iberia), Granados (Goyescas), Falla (Le Tricorne), Ernesto Halffter (Sonatina).


HABANERA

Chanson et danse cubaines de rythme binaire 2/4 (que l'on appelle aussi havanaise, du nom de la capitale de Cuba). La habanera fut très populaire dans l'Europe romantique. L'origine en est controversée. Si elle fut constituée comme telle à Cuba, est-elle de souche purement afro-cubaine ou bien, ce qui est plus vraisemblable, plonge-t-elle aussi ses racines dans des rythmes espagnols importés lors de la conquête de l'île ? Il est significatif que le plus célèbre compositeur cubain de habaneras, Ignacio Cervantes (1847-1905), qui fut l'élève de Marmontel et d'Alkan, les appelle contradanzas ou contradanzas criollas (cf. ses Danzas cubanas). L'Espagnol Sebastián Iradier (1809-1965), qui vécut à Cuba pendant quelques années, écrivit une célèbre habanera (El Arreglito, 1840), qui fut introduite par Bizet dans Carmen. En Espagne, la habanera est seulement dansée sur scène. Saint-Saëns (Havanaise), Chabrier, Albéniz, Debussy, Aubert, Falla, Ravel écrivirent des habaneras.


JOTA

Chanson et danse populaires espagnoles, de rythme ternaire (3/4, 3/8), de tempo vif et trépidant (moins rapide cependant quand elle est seulement chantée). Elle est fort répandue en Espagne, au Portugal, aux Baléares et aux Canaries (isa). La légende attribue la jota à un Arabe du XIIe siècle, Aben Jot ; en fait, elle n'est pas antérieure au XVIIIe siècle et n'aurait donc aucune origine arabe directe. On connaît de nombreuses variétés de jotas, la murciana, la valenciana, la mahonesa, mais la jota aragonesa semble la plus pure. Un ou plusieurs couples, les danseurs se faisant face, les bras levés, dansent sur place tout en variant les positions, en s'accompagnant de rondallas (guitares, bandurrias, cymbales, tambour de basque) et de castagnettes. L'estribillo - espèce de refrain - fait suite à une introduction instrumentale ainsi qu'aux couplets. La jota aragonesa a inspiré Liszt, Glinka, Pablo de Sarasate (1844-1908) ; Léonide Massine s'en inspira dans la chorégraphie du Tricorne. Raoul Laparra (La Jota), Saint-Saëns (La Jota andalouse), Ravel (la jota de la Feria) écrivirent sur son rythme.

MALAGUENA

Danse espagnole d'esprit flamenco, originaire de Málaga (d'où son nom). C'est une forme locale du fandango, comme le sont les rondeñas, les granadinas, les murcianas, nées respectivement à Ronda, à Grenade et à Murcie. La malagueña peut alterner avec le chant et s'accompagner de castagnettes. Elle est construite sur un rythme ternaire. C'est parfois une pièce seulement instrumentale. Son harmonie est caractérisée par sa cadence, qui commence et finit par la dominante du mode mineur. Ravel en a écrit une pour sa Rhapsodie espagnole.

MORESCA

Danse populaire espagnole, d'origine arabe (maure), la moresca (ou moresque) fut en vogue du XVe au XVIIe siècle dans le sud de l'Europe (Portugal, Espagne, Italie), puis en France et dans les Flandres. Lope de Vega, dans Maestro de danzar, la nomme morisca. Elle est de rythme tantôt binaire, tantôt ternaire. Elle s'exécutait en armes et les danseurs s'attachaient des grelots aux poignets et aux chevilles, détail qui la fit rapprocher de la morris dance anglaise, elle aussi connue dès le XVe siècle. Les danseurs, se faisant face, évoluent simplement en va-et-vient rapides. La moresca était dansée lors de solennités (processions de la Fête-Dieu en 1664 à Lyon, en 1665 à Milan). Une moresca termine l'Orfeo de Monteverdi.

La mauresque, en revanche, est une danse provençale, de rythme ternaire, exécutée à l'époque du carnaval, et dont le nom laisse penser qu'elle aurait une origine maure. La deuxième des trois pièces des Ombres de Florent Schmitt est intitulée « Mauresque » (pour piano, puis pour orchestre).

SARABANDE

Danse populaire espagnole à trois temps vifs (« folle sarabande », « sarabande endiablée »), certainement antérieure à l'ère chrétienne. Elle illustrait les rites de fécondité. C'est sans doute en raison de son caractère lascif (mimique sexuelle et thème phallique affirmés) et parce que les femmes, s'accompagnant de castagnettes et de tambour de basque, y jouent un rôle essentiel qu'elle fut interdite à Madrid en 1583. De 1580 à 1625, elle fut pourtant fort en vogue. Au XVIIe siècle, si elle reste vive et gaie en Espagne et en Italie, elle entre dans la suite instrumentale des autres pays européens avec un tempo lent et grave, voire hiératique. Elle comprend alors deux fois huit mesures, chacune commençant par un temps fort suivi d'un second ordinairement pointé. Elle préfigure le mouvement lent des sonates et des symphonies.


SARDANE

Danse populaire, qui peut être accompagnée de chant. Connue, dès le XVIe siècle, en Catalogne et dans le Roussillon, la sardane est de rythme binaire (2/4 ou 6/8), de tempo variable, en général progressif avec accelerando ; elle comprend des pas courts (huit mesures) et des pas longs (seize mesures). Elle est exécutée en cercle, sous forme de ronde ; danseurs et danseuses, alternés, se tiennent la main et lèvent les bras. L'orchestre traditionnel catalan (cobla) accompagne la danse : flabiol (flûte à bec jouée d'une seule main ; sur les sept trous, cinq servent au doigté), tambori (tambour de poignet à deux membranes, dont la caisse mesure environ 7 Œ 7 cm) et instruments à vent dont la tenora (espèce de hautbois populaire, assez criard).

Après 1850, Pep Ventura recueillit des airs catalans et remit en honneur cette vieille danse, qui est encore exécutée de nos jours. Citons la fameuse Sardana de Pablo Casals pour cinquante violoncelles.

TONADILLA

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle apparut à Madrid une nouvelle forme musicale qui devint vite très populaire, la tonadilla escénica (tonadilla est un diminutif de tonada, qui signifie « chanson » en espagnol). Il s'agissait d'une sorte d'opéra-comique miniature, durant au plus une vingtaine de minutes, et qui faisait office d'interlude - à l'instar des intermezzi italiens - entre les actes d'un ouvrage théâtral plus important : comedias, drames ou tragédies.

On a longtemps pensé que la tonadilla avait été inventée en 1757 par le compositeur, chef d'orchestre, flûtiste et hautboïste catalan Luis Misón (ou Luis Missón, 1727-1766). Mais, selon le musicologue José Subirá (1882-1980), c'est en fait Antonio Guerrero (1700 env. -1776) qui aurait, quelques années auparavant, composé les premières tonadillas, parmi lesquelles Los señores fingidos (1753), consistant en deux tonadillas associées. Quoi qu'il en soit, les succès remportés par les tonadillas de Misón l'encourageront à en composer un grand nombre, probablement une centaine.

La tonadilla a joué au XVIIIe siècle un rôle essentiel dans l'évolution de la musique espagnole. Apparue en réaction contre la dictature des chanteurs italiens et de l'opéra italien en général, elle ne pouvait être interprétée que par des artistes nés et élevés en Espagne, et plus particulièrement en Andalousie. L'esprit hispanique est reflété dans la tonadilla par ses mélodies, par ses rythmes - fandango, folía, jota, seguidilla, tirana... - et par l'utilisation d'instruments typiquement espagnols, comme la guitare et les castagnettes. La tonadilla a conféré aux compositeurs un admirable sens de la liberté : ceux-ci pouvaient se permettre toutes les variétés de chansons et de danses et, quels que soient les rythmes inventés, aussi étranges puissent-ils être, ils étaient assurés de recueillir les plus chaleureux applaudissements de la part du public.

La tonadilla est une forme souple et d'une grande variété. Elle ne comporte parfois qu'un seul personnage (tonadilla a solo), mais peut en compter deux, trois, quatre et davantage - elle est, dans ce dernier cas, parfois appelée tonadilla general -, et on y introduit occasionnellement des chœurs. L'exemple le plus complexe de tonadilla semble avoir été La plaza de palacio de Barcelona (1774) de Jacinto Valledor y la Calle (1744-1809 environ), qui sollicite douze chanteurs.

Les sujets des tonadillas étaient à l'origine tirés d'anecdotes de la vie quotidienne des gens simples, mettant en scène des paysans, domestiques, aubergistes, soldats, barbiers, gitans... Comique et souvent très satirique à ses débuts, elle évoluera vers des thèmes galants et mythologiques, et se mettra à moraliser et à prêcher. Au plus beau moment de la tonadilla, entre 1770 et 1790, des compositeurs comme le Catalan Pablo (Pau) Esteve (Estebe) y Grimau (1734-1794), le Navarrais Blas de Laserna (1751-1816) et des librettistes comme Ramón de la Cruz (1731-1794) allaient encore chercher leur inspiration dans les quartiers populaires de Madrid. On notera que, dans sa jeunesse, Esteve méprisait la tonadilla : selon lui, les compositeurs qui s'adonnaient à ce genre étaient perdus de réputation. Mais, sous l'influence de Ramón de la Cruz et de quelques autres, il s'y essaya lui-même, avec un succès tel qu'il fait partie de ceux qui portèrent la tonadilla à son plus haut développement. La tonadilla connaîtra une éclipse au XIXe siècle, avant de renaître au XXe, principalement grâce à Rafael Mitjana y Gordon (1869-1921) et, surtout, à José Subirá.

C'est des œuvres de Ramón de la Cruz et de Blas de Laserna (1751-1816) que s'inspirera Enrique Granados pour son cycle de douze Tonadillas en un estilo antiguo (1910-1911) ainsi que pour son opéra Goyescas (composé entre 1913 et 1915, créé au Metropolitan Opera de New York le 28 janvier 1916), évocation de toute la poétique de Madrid à l'époque de Ramón de la Cruz et de Goya.


LA MUSIQUE EN ESPAGNE

Selon que l'on considère la traduction musicale des caractères communs à l'ensemble des peuples ibériques ou l'évolution d'une tradition savante, on pourra parler de musique espagnole ou de musique d'Espagne.

La première, présente dans les folklores de la Péninsule depuis les origines de la nationalité, a souvent informé la seconde, du Moyen Âge au XIXe siècle, et l'a totalement déterminée de la fin du XIXe à la première moitié du XXe siècle. Mais ses traits dominants, sublimés ou transposés, étaient toujours latents dans l'œuvre des musiciens espagnols, aussi européens et universels qu'ils fussent. Car, sauf chez les compositeurs de musique sacrée, une sorte d'esprit à la fois unique parce que national et multiple par la diversité de ses sources régionales a toujours plus ou moins alimenté leur création.

Source populaire collective et impulsion créatrice individuelle se suivent, s'enchevêtrent, se superposent d'autant plus que - phénomène curieux mais sûrement explicable - leurs grands moments coïncident toujours. S'il est aisé, par l'analyse sociologique, de distinguer musique espagnole et musique d'Espagne, l'analyse musicale, elle, ne permettra cette distinction que dans la polyphonie religieuse du XVIe siècle et les dernières œuvres des compositeurs actuels, éloignées elles aussi des données purement nationales.

1. L'Espagnol et sa musique

Toute synthèse historique suppose la réponse à une question préalable : qu'est-ce que la musique espagnole ? Il faut définir ses caractéristiques essentielles.

Du concret à l'abstrait

On ne peut répondre à cette question qu'après avoir éclairci en quoi et pourquoi l'Espagne se détache du reste de l'Europe au point d'appeler - d'exiger même - une distinction indispensable à sa compréhension.

La réponse, formulable en deux points, ne manque pas d'analogies avec celle que l'on ferait peut-être pour la musique russe. L'Espagnol a toujours créé un art dont la constante est la tendance à l'abstrait par le concret. La présence vive, vivifiante du concret ne se dément jamais. Il y a chez Goya, par exemple, une réalité formelle, abstraite, qui représente en soi une valeur picturale ; mais elle est indissociable de sa source immédiate, de sa réalité réelle : la virtuosité des formes, de la composition et des lumières du Dos de mayo, par exemple, n'est concevable, c'est-à-dire n'est conçue qu'à partir d'un sentiment tragique et à travers lui : le sentiment de la mort, de l'injustice, du phénomène social réduit à la situation connue, au fait qui suggère le thème.

Le passage de l'abstrait à l'abstrait est d'ailleurs quasi impossible à l'Espagnol qui en a donné, en deux mille ans, de fort rares exemples. En Espagne, il n'y a pour ainsi dire ni mathématiciens ni philosophes.

D'autre part, l'expression « culture espagnole », au sens historique sinon sociologique du terme, est dénuée de signification.

Tardivement atteint par une technique et une industrie européennes longtemps acceptées plus qu'assimilées ; ayant conservé ses aspirations régionales, voire séparatistes à l'intérieur de chaque province, et sa langue locale comme instrument de commerce et même de culture ; retranché, bien plus que le Breton en France ou l'Irlandais en Grande-Bretagne, derrière les barrières séculaires de ses mythes, de sa tradition orale et de ses coutumes, l'Espagnol ne devient tel que par une sorte d'abstraction souvent fictive et toujours précaire : il est d'abord andalou, catalan, castillan, galicien, basque, aragonais.

Réunion de peuples et non pas peuple, l'Espagne ne se définit, somme toute, que par un refus commun et tenace du système de civilisation occidental dont elle participe pourtant et dont elle reçoit de temps à autre l'influence déformatrice, sans être capable, dirait-on, de l'assimiler. De ce refus, peut-être le seul véritable commun dénominateur des Espagnols, dérivent les traits communs secondaires.

Constantes de la musique espagnole

La musique se meut entre les deux pôles qui correspondent aux extrêmes antagoniques et complémentaires de ces traits communs : la sensualité tragique andalouse, sa joie fatale, et l'austérité sèche et sévère de la Castille. Deux formes de mysticisme, deux manières de communiquer avec le mystère de l'homme et de l'univers. De l'une à l'autre la frontière se perd, se confond, devient informulable.

Pourtant cinq éléments semblent pouvoir se dégager : une force secrète ou manifeste, une vigueur d'expression née d'un commerce naturel (animal) avec la mort ; une absence et un mépris du pur plaisir formel qui ravale au niveau artisanal la technique et la science de la composition ; une volonté de lyrisme par la primauté permanente de la vision subjective ; une participation active et directe, voire quotidienne, à la vie collective qui permet de traiter « avec la même familiarité souveraine », comme l'a dit Maurice Ohana, « la Vierge et le matador, la mère et la solitude » ; enfin, l'union inséparable avec le poème ou la danse, caractéristique commune à la musique orientale.

Le caractère propre de la musique andalouse, dont se sont largement nourris les compositeurs depuis la fin du XIXe siècle, est de s'inscrire dans l'arc méditerranéen qui englobe la côte européenne aussi bien qu'africaine.

Les harmonies de la guitare, les mélismes vocaux et les micro-intervalles du cante jondo et de tout le cante flamenco - tant pour le chant que pour la musique instrumentale - ne traduisent qu'un aspect récent d'une musique dont les racines remontent en Asie au VIIe siècle, par la liturgie byzantine, et au XVe siècle, par l'immigration gitane, en Afrique du VIIIe siècle au XVe siècle, par les invasions et l'occupation arabe.

2. La courbe et les jalons

Si elle a existé, la musique ibérique des premiers siècles de notre ère a disparu sans laisser de trace, alors que dans les églises romanes d'Espagne, comme dans celles du reste de l'Europe, se formait la monodie religieuse.

Á partir du VIIe siècle, l'Église espagnole refuse la réforme du pape Grégoire Ier, (590-604) et reste fidèle au chant byzantin qui, en Andalousie, donnera naissance, du VIIIe au XVe siècle, au rite dit mozarabe, dont quelques chants sont conservés à Tolède, à Salamanque et à Silos. Cette hétérodoxie liturgique est l'aspect distinctif d'une musique qui a déjà trouvé son apport oriental.

L'époque d'Alphonse X et le romance

Après une gestation longue et obscure, le Moyen Âge musical connaîtra, au XIIIe siècle, la grande époque du romance, poème de source populaire en vers octosyllabiques que le poète-musicien traite soit en variant un thème folklorique ancien, soit en créant séparément musique et texte, soit, enfin, en écrivant et composant sur des schémas plus ou moins traditionnels.

Très ornementés en Andalousie, plus dépouillés en Castille, les romances constituent un fonds historique d'une variété exceptionnelle.

Alphonse X le Sage, roi de Castille et de León, puis empereur d'Occident, opéra la jonction entre la veine semi-populaire et la source religieuse byzantine en réunissant dans plus de quatre cents cantigas des romances, des chansons de troubadours et des chants liturgiques. Il y mêle sa propre création à des compositions transmises par tradition orale depuis le XIe et peut-être le Xe siècle, et qu'il fit recueillir, par une sorte d'atelier de création, avec un sens mélodique et rythmique de compositeur moderne.

Chez Alphonse X, musique espagnole et musique d'Espagne ne font qu'un ; les cantigas, chants brefs notés sans accompagnement sur des textes de langue galicienne-portugaise, constituent le premier sommet de l'histoire musicale de la Péninsule ; leur esprit est encore présent de nos jours dans le folklore de Galice, l'un des plus surprenants et des moins connus de l'Espagne.

Cet art simple et profond, où la voix seule est appelée à transmettre une émotion soumise à une norme à la fois rigoureuse et souple, paraît étonnamment actuel.

Des « cantigas » au Siècle d'or

Tout comme le romancero sera, dès le XIVe siècle, le point de départ d'une poésie née dans le peuple et aboutissant au verbe lumineux des poètes du Siècle d'or (Garcilaso, saint Jean de la Croix, Góngora, Lope de Vega, Quevedo), contemporains du Greco (1548-1625) et de Zurbarán (1598-1662), les cantigas auront été l'antécédent lointain mais décelable de ces XVIe et XVIIe siècles où trois grands maîtres sévillans, Cristóbal Morales (1500-1553), Francisco Guerrero (1527-1599), Juan Vázquez (1500-1560) et, surtout, un Castillan, Tomás Luis de Victoria (1548-1611) créent un art savant qui aura son équivalent populaire dans de magnifiques chœurs anonymes.

Parmi ces derniers, le recueil trouvé à Uppsala (une cinquantaine de chœurs a cappella datant de 1560 à 1600) montre combien fut prodigue et admirable ce moment de l'histoire espagnole qui suit immédiatement la fin de la domination arabe et la découverte de l'Amérique, sous les règnes de Charles Quint et de Philippe II.

Comme les maîtres sévillans, dont les hardiesses préfigurent ses richesses harmoniques, Victoria a commencé par imiter la polyphonie italienne, connue et apprise à Rome, mais il s'en est libéré pour écouter la voix de sa race sans craindre de recueillir parfois les échos des chansons de geste médiévales.

Comparé souvent légèrement à celui de Palestrina ou de J.-S. Bach, l'art de Victoria a sa saveur propre et sait éviter l'abstraction extrême ; son contrepoint discret, sa polyphonie toujours claire, transparente, son pouvoir plastique jamais mis en danger par l'excès de la vision théorique en font le deuxième sommet de la musique d'Espagne.

Peu avant, un maître de la chanson accompagnée, auteur de musique de scène et de noëls à quatre voix (villancicos), Juan del Enzina (1469-1529), avait recréé la musique de Castille, tandis que l'Andalou Luis de Narváez (déb. XVIe s.), comparable à Dowland ou à Henry Purcell par la finesse de son écriture, mettait sa sensibilité ardente et aristocratique au service d'une technique acquise en Italie, et que l'Aragonais Luis Milán (fin XVe s.-1562 env.), luthiste à la cour de Ferdinand le Catholique, entreprenait de vigoureuses recherches harmoniques pour voix et luth ou pour luth seul.

Avec eux, Antonio de Cabezón (1510-1566), compositeur aveugle et organiste de la cour, utilisa, pour la première fois en Espagne, le principe de la variation dans ses tientos, œuvres apparentées aux ricercari italiens et aux fantaisies des compositeurs français de l'époque. Ce n'est qu'après sa mort que furent publiées les Obras de música para tecla, arpa y vihuela, brèves et fécondes pièces instrumentales libérées de la soumission à la parole ou à la danse.

Les premières ébauches de cette libération étaient apparues dans les pièces pour luth de Juan Bermudo (déb. XVIe s.) et dans celles d'un chanoine sévillan, Alonso Mudarra, pour vihuela, instrument à cordes pincées, ancêtre de la guitare, qui annoncent avec trois siècles d'avance le style du cante flamenco, et plus particulièrement du cante jondo. Ils constituent l'un et l'autre une étrange synthèse des arts byzantin, grec, berbère et asiatique commencée depuis le début du XVe siècle avant même le départ des Arabes, avec l'arrivée des Gitans en Andalousie.

L'éclosion de ces deux formes de cante (« chant » au sens absolu du terme, qu'il soit vocal ou instrumental), entre le XIXe et le XXe siècle, coïncidera avec un renouveau de la musique savante qui mettra fin à la longue infécondité consécutive au Siècle d'or.

Exception dans ce désert, un prêtre joyeux et solitaire, Antonio Soler (1729-1783), maître de chapelle de l'Escurial, a laissé des sonates pour clavecin, des quintettes, des messes, un fandango éblouissant, dont l'écriture légère, enjouée, sinon toujours profonde, influencera son ami Domenico Scarlatti, qui vécut vingt-cinq ans en Espagne et s'appropria maintes fois le folklore d'Andalousie dans ses Esercizi per gravicembalo (exercices pour clavecin).

3. De la musique d'Espagne à la musique espagnole

Il appartiendra au XIXe siècle et surtout au XXe d'identifier la musique d'Espagne à la musique espagnole, la création savante à la tradition populaire, séparées depuis Alphonse X. Un musicien catalan, plus théoricien que compositeur, Felipe Pedrell (1841-1922), dans une brochure célèbre publiée en 1891 à Barcelone et en 1893 à Paris, Pour notre musique, prône cette synthèse en proclamant que « chaque pays doit établir son système musical sur la base de son chant national ».

La zarzuela

Le terrain avait été spontanément préparé par quelques musiciens mineurs qui limitèrent leurs efforts à une forme d'opéra-comique particulière, la zarzuela.

Comédie de mœurs de couleur locale, sorte d'opéra abrégé avec dialogues parlés, la zarzuela côtoie la saynète, à laquelle elle n'ajoute qu'une ouverture, quelques arias et quelques chœurs.

Entre 1890 et 1910 naquirent, l'un après l'autre, les rares chefs-d'œuvre du genre ; le charme du texte, l'habileté du livret et la qualité musicale font de La Verbena de la paloma, de Tomas Bretón (1894), La Revoltosa et La Gran Via, de Ruperto Chapí, et Agua, azucarillos y aguardiente de Federico Chueca (toutes trois de 1897), des exceptions sans lendemain.

Deux compositeurs, Enrique Granados (1867-1916), soumis à l'influence germanique, et Isaac Albéniz (1860-1909), d'abord fidèle à une tradition d'origine française puis libéré d'elle, suivent avec un succès différent le chemin préparé par les auteurs de zarzuelas et tracé par Pedrell.

Source UNIVERSALIS

LE FLAMENCO

Le chant flamenco (cante flamenco) est un art créé par le peuple andalou, sur la base d'un folklore populaire issu des diverses cultures qui s'épanouirent au long des siècles. À partir du XVIIIe siècle, époque capitale pour l'histoire de la culture et du folklore en maints pays européens, les Bas-Andalous, de souche gitane, donnèrent à cet art sa structure et ses caractères définitifs. Toute une série de facteurs, sociaux et humains, enracinés dans la douleur et la pauvreté, entrent en jeu à cette époque, l'Andalousie conservant sa prééminence, et les thèmes musicaux une marque primitive. Ainsi naît un phénomène littéraire et musical dont les premières manifestations sont signalées aux environs de 1750.

Malgré de multiples théories sur la formation et la nature du cante flamenco, les documents découverts jusqu'à ce jour permettent seulement d'affirmer qu'il est d'origine andalouse : quartier sévillan de Triana, ville de Xérès (Jerez de la Frontera), Cadix et ses puertos. C'est là que le cante flamenco trouva toujours le plus grand nombre d'interprètes et de styles.

On qualifie fréquemment le cante d'andalou, de profond (cante jondo), de gitan ou de flamenco. Cette dernière appellation s'est généralisée et prédomine désormais. L'étymologie du mot flamenco, comme qualificatif du cante, a été étudiée par de nombreux chercheurs, folkloristes et érudits. Plusieurs théories ont été proposées, aucune ne convainc totalement. Selon le musicologue García Matos, flamenco est un mot germanique qui signifie flamboyant, ardent et qui pourrait bien avoir été introduit en Espagne par des hommes du Nord. Ils auraient ainsi appelé le folklore andalou pour caractériser son éclat et sa fougue. Le mot flamenco s'applique aussi à une manière de vivre, faite de générosité et d'insouciance.


Origines et évolution

Diverses influences musicales ont eu une importance plus ou moins déterminante sur la formation des styles du cante flamenco. Selon d'éminents musicologues, les premières musiques orientales atteignirent le sud de l'Espagne avec les Phéniciens et les Carthaginois. Sous l'Empire romain, les marchands du Proche-Orient commercèrent avec les ports andalous ; ce sont les Syriens qui apportèrent le christianisme à l'Andalousie. Dès cette période, des textes grecs et romains font allusion à la grâce et aux dispositions des gens de Cadix pour la danse et le chant ; de prodigieuses danseuses vont même jusqu'à Rome, telle Thelethusa, célébrée par Juvénal. Les influences arabes étaient considérées, récemment encore, comme les plus importantes. Une théorie populaire assurait que tout le contexte musical provenait des Arabes, mais la démonstration a été faite que ce sont ces derniers qui s'inspirèrent du folklore andalou ! De l'étude de la danse et du chant orientaux, se dégage une affinité avec l'art populaire andalou, déjà imprégné d'orientalisme avant la domination sarrasine.

Le chant grégorien joua un grand rôle en Espagne au Xe siècle. Le peuple participait aux fonctions religieuses en interprétant des cantiques : ainsi le chant religieux devient populaire. Ses caractéristiques mélodiques sont maintenant une des propriétés les plus significatives du chant flamenco. D'autre part, en raison de l'origine juive du christianisme et par l'intermédiaire de Byzance, la musique grégorienne avait acquis des inflexions sonores plaintives et orientales.

Cependant l'influence gitane l'emporte. En s'installant en Andalousie, les Gitans apportèrent au folklore andalou toute la tragédie de leur race persécutée et l'écho musical de leur origine indo-aryenne, au point qu'ils se prétendent les authentiques « forgerons » du cante flamenco.

Ni les écrivains ni les érudits ne fournissent de documents permettant de suivre l'évolution et le développement du cante flamenco dans la littérature populaire antérieure au XVIIIe siècle, bien que l'on ait compulsé de nombreux manuscrits, des romances d'aveugles, des documents corporatifs, des pièces de théâtre, des recueils de chansons, des livres de voyage, des chroniques historiques, des ouvrages de recherche ou d'étude sur la vie espagnole. Le cante flamenco, tel qu'on le connaît de nos jours, est, semble-t-il, une manifestation artistique qui commence à jouer un rôle à partir du XVIIIe siècle. Il s'exprime d'abord dans les lieux de travail ou dans les réunions familiales, pour passer ensuite dans les tavernes et les fêtes publiques. Les Gitans et les paysans en furent les principaux interprètes, car la société cultivée le méprisait, le considérant comme affaire de « petites gens ». Cette attitude favorisa le contact entre les Gitans et le peuple andalou. Vers 1850, le cante alimente le spectacle des cabarets chantants (cafés cantantes) qui se créent à Séville, Xérès, Cadix, Málaga et divers villes et villages andalous. Les styles les plus authentiques et les plus profonds (jondos) se mêlent à d'autres de caractère purement folklorique pour satisfaire un public toujours croissant. Dès 1918, avec le premier opéra flamenco, le cante se « théâtralise » et entre dans une époque de décadence, accentuée pendant la guerre civile et les premières années de l'après-guerre. C'est le temps des couplets aflamencados, répandus par de néfastes interprètes à la scène, à la radio ou au cinéma.

En 1957, une chaire de « flamencologie » est créée à Xérès et les premiers concours et festivals de chant s'organisent à Cordoue ; en outre, le regroupement de quelques poètes et intellectuels ouvre une étape de revalorisation du cante ; ces efforts sont récompensés : en un peu plus d'une décennie, le flamenco retrouve une splendeur équivalente à celle de l'époque des cafés cantantes ; on remet en valeur les styles authentiques, et une nouvelle génération d'interprètes se lève, qui sont comparables aux plus fameux d'antan.

Structures et styles

Mélodie et rythme

Du point de vue mélodique, on peut classer les types de cante jondo en trois groupes principaux : chants en mode dorique (échelle grecque de mi, ), chants en mode majeur ou mineur, chants bi-modaux (où alternent le dorique et le majeur ou le mineur). Deux variantes du dorique de base sont fréquemment employées par altération ascendante de certains degrés. Chacune de ces gammes engendre une série particulière d'accords modaux aisément reconnaissables.

Habituellement, la ligne mélodique progresse par degrés conjoints, exceptionnellement par sauts de tierce ou de quarte. L'abondance d'appoggiatures ascendantes et descendantes, de retards, d'anticipations, de trilles, de mordants ou de battements vocaux dans des intervalles plus petits que le demi-ton caractérise le cante flamenco. À titre de comparaison, on rapprochera les douze degrés de la gamme majeure des dix-sept degrés de la gamme indienne et des vingt-deux de l'échelle arabe ou gitane.

Il suffit de citer quelques cellules rythmiques élémentaires, analogues à celles de bien des musiques à danser populaires. L'utilisation des rythmes est très variée : on rencontre les rythmes binaires, les rythmes ternaires, la combinaison régulière des deux, la superposition polyrythmique (mouvement syllabique binaire sur accompagnement en mesure ternaire), le rythme libre (pour voix seule le plus souvent).

Formes

Les tonás

Les tonás ont une fonction délicate et importante : elles servent de base à la création et au développement des styles flamencos ; aussi sont-elles considérées comme cantes matrices (chants matriciels). Toná est la forme dialectale andalouse de tonada qui, sous son aspect folklorique, équivaut au chant traditionnel, au couplet populaire. Sous son aspect flamenco, toutefois, le romance est son plus proche antécédent littéraire et populaire ; si les Gitans andalous s'en inspirent, c'est qu'à leur arrivée en Andalousie le romancero jouissait de la plus haute estime. La structure du romance est semblable à celle des tonás par sa mesure et la distribution des strophes. Quant à leur forme musicale, les tonás admettaient rarement l'accompagnement instrumental, étant donné le caractère d'intimité propre à leur origine. C'est pourquoi on nomme aujourd'hui tous les styles qui s'y rattachent cantes sin guitarra (chants sans guitare).

On discute sur le nombre de tonás flamencas qui existèrent ; Rafael Marín assure, dans sa Méthode de guitare (1902), qu'une légende gitane en comptait trente-trois. Une autre tradition, gitano-andalouse, indique le chiffre de trente et un. De son côté, le folkloriste « Demófilo » - père de Antonio et Manuel Machado - décrit, en 1881, vingt-six tonás. On a prouvé, en consultant des chanteurs ou amateurs, d'âge respectable qu'à l'époque des cafés cantantes on parlait des dix-neuf tonás ; mais en comparant les appellations ainsi recueillies avec les références écrites, on arrive au nombre de trente-quatre. Ce nombre est incertain lui aussi, mais il permet d'affirmer que, sous le nom générique de tonás, furent groupés tous les chants sans accompagnement musical ; cette absence découle tout simplement et logiquement du mode de vie des Gitans et de l'interprétation des tonás. Par exemple, à la campagne, dans les forges ou dans les prisons (cárceles). Ainsi naquirent des dénominations comme carcelera et martinete, qui commencent à se populariser vers 1860 ; il n'est donc pas surprenant que maintes vieilles tonás, dont il n'est resté que le souvenir ou une mention dans un ouvrage, passent aujourd'hui pour des styles particuliers de marinetes. De même, le nombre de styles connus à ce jour demeure relatif car beaucoup furent désignés d'après le nom de l'interprète qui les popularisa.

Les siguiriyas

Au cours de la période de formation des chants flamencos, apparut la siguiriya, qui fut d'abord chantée sans guitare, plus tard avec accompagnement. L'influence des tonás sur les siguiriyas fut certainement importante ; elles leur ont donné leur caractère et leur musicalité intrinsèques. On doit cependant tenir compte des aspects suivants : presque tous les bons interprètes de tonás furent en même temps d'excellents chanteurs de siguiriyas ; les thèmes exprimés dans les couplets sont très proches par le dramatisme : il est par conséquent facile d'alterner siguiriya et toná ; chantées dans une même tonalité, elles se complètent ; dans les couplets de tonás, certaines formes curieuses de métrique ressemblent beaucoup à celles des siguiriyas. Elles dérivent de la séguedille populaire de la Castille et furent transformées par les chanteurs ; le dernier endécasyllabe dut naître grâce à quelque chanteur inspiré qui ajouta au vers une exclamation ou locution de cinq syllabes. Parmi les divers styles flamencos, la siguiriya est l'un des chants de base, du fait même des difficultés de son interprétation.

Les soleares

La majorité des chanteurs disent que la soleá est la mère du cante. Théoriciens et musicologues reconnaissent cette assertion, et les poètes proclament la soleá reine des chansons andalouses. C'est effectivement la soleá qui révèle la valeur et la connaissance du bon cantaor, car, étant donné le lien particulier entre rythme et mélodie, il est très difficile de la nuancer. La tradition orale et écrite donne comme origine à la soleá une ancienne mesure ternaire très dansante, appelée jaleo. Ce dernier jouissait d'une grande popularité au début du XIXe siècle ; jusque vers 1850, on ne parlait pas de soleá mais de jaleo, tant que ce type de chant resta subordonné à la danse. À partir de 1850, en raison de la valeur des interprétations qui se révèlent à cette période, la soleá entre dans la catégorie des chants que l'on écoute.

Les tangos et les tientos

Le tango gitan est l'un des styles fondamentaux du flamenco. On le chantait et le dansait dès les temps anciens, à Cadix et Séville, ses villes d'origine ; on trouve toutefois des variantes locales, comme celles de Xérès et Málaga. Les tientos ont la même mesure que le tango, mais selon un tempo ralenti, devenu solennel sous l'influence d'autres styles. Le nom de tiento provient de l'un de ses couplets, où apparaît le terme.

Les serranas

Le chant des serranas est composé à partir de la siguiriya, mais interprété plus lentement. Sa métrique est celle de la séguedille castillane. C'est un style campagnard, eu égard à ses thèmes et à son expression ; il prit forme vers 1825.

Les alegrías et les cantiñas

Les divers styles de cantiñas et d'alegrías sont des chants naturels de Cadix et de ses puertos. Aux rythmes très dansants, ils combinent à l'envi éclat, sonorité et beauté. Leurs couplets chantent le paysage et l'amour, et s'achèvent sur un refrain fort animé.

La petenera

De tous les chants flamenco, la petenera est un des plus mélodiques, mélancoliques, sentimentaux et émouvants. Rattachée à la légende du mystérieux duende (démon) du flamenco, son étymologie, ses origines et son histoire prêtent à de grandes confusions. Une croyance populaire - démentie de nos jours - attribuait à la petenera une origine juive, en se fondant sur certaines allusions trouvées dans ses couplets. En réalité, d'après les découvertes récentes, ce chant doit son nom à une chanteuse appelée la Petenera, déformation de Paternera, c'est-à-dire native de Paterna de la Ribera (province de Cadix). Chant très populaire pendant la seconde moitié du XIXe siècle, la petenera est surtout, actuellement, une chanson à danser.

La caña

Considérée comme l'un des styles flamencos les plus anciens, la caña dérive très probablement d'une chanson andalouse portant ce titre. C'est un chant difficile et lent, qui a subi diverses transformations au long des ans et qui, à notre époque, se chante presque toujours pour danser.

Le polo

Le polo est un chant d'autrefois qui connaît un regain de popularité et d'intérêt provoqué par les discussions et les théories qui tentent d'en dégager l'origine et l'importance. Certaines de ses théories musicologiques évoquent l'existence, au XVIIIe siècle, d'une chanson à danser appelée polo, ainsi que d'une autre, plus raffinée, appelée polo de salón ; on les retrouve peut-être dans certains opéras, tel Le Polo du contrebandier, dans lesquels se fait encore sentir l'influence populaire. D'après certains documents, on chantait le polo gitan dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cela détruirait la théorie qui attribue la paternité du polo flamenco à un chanteur du début du XIXe siècle. Les couplets du polo adoptent la forme du romance ; ils se chantent généralement dans une tonalité élevée et s'achèvent par une rengaine ou une soleá à la manière moderne.

Les bulerías

Pièce la plus vive et la plus rythmique de tout l'héritage flamenco, la bulería est un chant typique de fiesta créé par les Gitans de Xérès. Son mouvement allègre et son charme expliquent la grâce espiègle de ses figures de danse. On a beaucoup discuté de l'étymologie du mot bulería. Certains y voient un synonyme de burla (moquerie). D'autres soutiennent, avec plus de vraisemblance, que bulería dérive de bullería (bullir, bouillir, remuer, s'agiter) ; la déformation s'expliquerait par la difficulté qu'éprouvent les Gitans andalous à prononcer certaines consonnes.

Les fandangos

Selon les dictionnaires étymologiques, l'origine du mot fandango est incertaine. Il dérive probablement du portugais fado qui désigne un chant et une danse typiques. Les musicologues s'accordent à utiliser le mot comme dénomination générique d'un air de danse espagnole en mesure de 3/4, de mouvement vif ; on peut y rattacher les malagueñas, les rondeñas, les granaínas, les tarantas, et les murcianas, peu différentes entre elles. À partir de 1870, le mélange des chants gitans et andalous a ouvert de larges horizons, où apparurent de nouvelles formes d'expression et de style ; le fandango devint le style le plus en faveur pour traduire cet enrichissement de nuances. L'étonnante variété du fandango andalou, comme expression typique de chaque village, de chaque contrée naturelle, servit de base essentielle au fandango non régional, c'est-à-dire au fandango personnel, devenu très populaire ; leur développement se situe entre 1880 et 1915, alors que le cante del Levante - chant du Levant, c'est-à-dire de la région de Murcie - était à l'apogée de sa splendeur. Ce fandango, qui fut créé à la fin d'une époque de grands malagueñeros, perdit ses attaches locales, refusa la complicité de la danse et le carcan de la mesure, au profit de l'épanouissement d'un charme mélodique différent pour chaque strophe.

Rappelons, en conclusion, que le premier interprète dont on ait des informations écrites est Tío Luis el de la Juliana, originaire de Xérès, chanteur de tonás qui vivait vers 1780. Parmi ses contemporains, on peut citer Tío Luis el Cautivo, lui aussi de Xérès, ainsi que María la Jaca. Au début du XIXe siècle, plusieurs noms laissent un souvenir de maîtres authentiques, tels Cantoral, Frasco el Colorao, Curro Casado, Tía Salvaora, el Planeta y de el Fillo, el Nitri, Silverio, Manuel Molina, Carito, el Loco Mateo, Cagancho, Juan Pelao, el Chato de Jerez, Enrique el Gordo, Dolores la Parrala, Paco el Sevillano, Enrique el Mellizo...

De 1850 à 1920, lors de la floraison des cafés cantantes, émergent les figures d'Antonio Chacón et de Manuel Torre, de Xérès, véritables génies du cante ; ils firent école et fixèrent les structures des principaux styles employés de nos jours. Il en est de même de maints autres, grâce à qui restent encore vivantes les valeurs de cette « époque d'or ». Actuellement, il existe un groupe important d'excellents chanteurs, dont certains sont comparables aux meilleurs d'autrefois.