UN PROGRAMME

Une Cité de la Musique ??
Analyse du programme de la Cité de la musique de Christian de Portzamparc afin de mieux cerner les différents élements d'un équipement dédié à la musique, leur nature, leur surface...

En attendant voici un article...

Architecture et musique, quelles nouvelles relations au début du XXIe siècle ?


Séverine Bridoux-Michel
Architecte, docteur en esthétique et sciences de l’art, chercheur au LACTH (Laboratoire d’architecture, conception, territoire, histoire) de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Lille

À l’heure où la Philharmonie de Paris est en projet sur le site de La Villette, à l’heure où de nouvelles salles de concert affluent et s’affichent dans les grandes villes du monde, mais à l’heure aussi où la démocratisation de la hi fi de salon en 5.1 et du baladeur MP3 offrent la solution du replis chez / sur soi, facilitant ainsi un recentrement sur l’espace privé et / ou virtuel, les problématiques issues de la relation de l’architecture et de la musique constituent néanmoins un champ de recherche interdisciplinaire ouvert à la création architecturale.
Le problème de la diffusion de la musique, et notamment de la musique contemporaine, est clairement lié à la lourdeur budgétaire que représente la construction de lieux dédiés, et dépend par conséquent des enjeux politiques, ainsi que le soulignait Pierre Boulez en 2006, c’est-à-dire une année avant le résultat du concours architectural de la Philharmonie de Paris : « Il faut se rendre à l’évidence : en France, on fait plus pour les musées que pour la musique. Et ça ne date pas d’aujourd’hui ! Pour s’en tenir au dernier quart de siècle et à la capitale, on a inauguré le Centre Georges Pompidou, le Musée d’Orsay, le Musée du Quai Branly et on a magnifiquement rénové le Grand Louvre... sans parler du Jeu de Paume. Côté musique, on a construit l’opéra Bastille et une Cité inachevée, avant de rafistoler la salle Pleyel : il n’y a pas de quoi pavoiser. » [
1] On peut dès lors comprendre que compte tenu de cette situation difficile que certains, comme Boulez, abordent avec réalisme, les compositeurs, aidés ces dernières décennies par le développement de la technologie, aient pu être incités à concevoir leur musique d’une manière relativement indépendante des conditions architecturales de diffusion.
Au XXe siècle pourtant, un mouvement a pu sembler se dessiner, qui tendait à rechercher une certaine adaptabilité des espaces de diffusion à la musique - la Philharmonie de Berlin (Hans Scharoun, 1956-1963), l’ « espace de projection » de l’Ircam (Renzo Piano, 1977), le Diatope de Beaubourg (Iannis Xenakis, 1978), le projet de Cité de la musique de Paris (Xenakis, 1984, projet non réalisé). Dans certains cas particulièrement remarqués / remarquables, le travail de conception architecturale des lieux répondait au travail compositionnel d’une œuvre en particulier.
Trois cas caractéristiques de collaboration d’architectes et de compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle se distinguent ainsi pour les solutions architecturales nouvelles qu’ils proposèrent. Le premier d’entre eux, le pavillon Philips de l’exposition internationale de Bruxelles en 1958, célèbre pour ses formes paraboloïdes hyperboliques, fut conçu dans ce sens par Iannis Xenakis et Le Corbusier, et ce à la demande de la société Philips, afin de diffuser une musique véritablement d’avant-garde, le Poème électronique d’Edgard Varèse et la pièce électroacoustique Concret PH de Iannis Xenakis. Deuxième exemple caractéristique, l’auditorium sphérique du pavillon allemand d’Osaka fut conçu par l’architecte Fritz Bornemann pour l’exposition internationale de 1970 afin de diffuser la musique du compositeur allemand Karlheinz Stockhausen. Troisième exemple enfin, l’arche musicale en bois construite dans l’espace de l’église San Lorenzo de Venise, en 1984, puis dans celui de l’ancienne usine Ansaldo de Milan, en 1985, fut conçue par Renzo Piano en tant que structure accordable (à la manière des instruments de musique) et démontable, afin de diffuser l’œuvre musicale Prometeo de Luigi Nono, sous-titrée tragédie de l’écoute.
Sortes de récipients expérimentaux temporaires réalisés pour accueillir une œuvre ou un type d’œuvres musicales, prototypes architecturaux ayant valeur d’objets technologiques, ces lieux de musique présentaient une réelle remise en cause de l’espace de représentation scénique traditionnel, et notamment celui des salles de concert « à l’italienne » ou encore celui correspondant au format « boîtes à chaussure ». Mais les solutions architecturales quasi utopiques qu’ils proposaient tournent presque leur matérialité en dérision, les transforment en énigme, en fiction. D’ailleurs, qu’ils soient cathédrales sonores ou machines multimédia, ces lieux de musique ont été démontés, voire détruits.
Quelles leçons peut-on tirer aujourd’hui de ces quelques projets audacieux de collaboration d’architectes et de compositeurs du XXe siècle ? L’actuelle agitation des grandes villes du monde autour de projets de salle de concert fait apparaître un nouveau besoin de considérer la collaboration de l’architecte et du musicien, ainsi que le tente Jean Nouvel pour la Philharmonie de Paris en demandant conseil à des compositeurs contemporains comme Gérard Pesson ou Marco Stroppa. Les dessins conceptuels du projet constituent ainsi un élément visuel de communication entre architectes et musiciens. Mais ce complexe musical est vaste et la salle de concert de 2400 places n’est finalement qu’une partie du programme. Aussi, la relation musique / architecture existe-t-elle également à l’extérieur de la salle de concert : l’expérience musicale peut d’ailleurs commencer dans le parc de la Villette, dans les strates obliques et horizontales du projet de la Philharmonie, cette dernière répondant elle-même finalement au son de la ville ; de même, le bâtiment est parcourable, comme pour démystifier ou plutôt désacraliser le moment du concert.
La Philharmonie de Paris (Ateliers Jean Nouvel & Brigitte Métra), le Parco della Musica de Rome (Renzo Piano), la Cidade da Musica de Rio (Chr. de Portzamparc), la Cidade da Musica de Porto (OMA, Rem Koolhaas), la Philharmonie Grande-Charlotte du Luxembourg (Chr. de Portzamparc), la Philharmonie de l’Elbe de Hambourg (Herzog & de Meuron), la Philharmonie de Copenhague (Ateliers Jean Nouvel & Brigitte Métra), cette vague de grands projets de salles de concert marque le début d’une ère nouvelle, une ère durant laquelle les villes contemporaines sonnent le « glas » et se font concurrence : ces lieux de musique tissent des liens avec l’urbain, s’imposent désormais dans la ville en tant que symbole, et s’affichent comme foyers culturels prestigieux.
En proposant des créations relativement ouvertes à l’échelle de la ville, les « cités de la musique » d’aujourd’hui impliquent cette conception du projet architectural intégrant la notion de grande échelle. L’appropriation de la notion de grande échelle, notamment celle de l’urbain, est en effet un moyen de sortir le projet du format traditionnel de ce type d’équipement, en même temps que de développer l’idée de parcours depuis la ville jusqu’à l’intérieur de la salle, voire de proposer l’idée de bâtiment parcourable. Ainsi, l’ouverture du projet à la ville, mais aussi d’une certaine manière au temps, constitue visiblement une priorité comme on peut le remarquer dans le cas de la Cidade da Musica de Porto (OMA, Rem Koolhaas).
Cependant, si à Paris Jean Nouvel choisit aussi la logique de la grande échelle pour la Philharmonie, il la choisit également pour le musée du Quai Branly : « Plus l’échelle est grande, plus on a de raisons de jouer sur les variations. C’est comme une symphonie, une composition », explique-t-il à propos du projet du nouveau musée [
2]. Cette évocation de la relation du travail de l’architecte et du compositeur que souligne ici Jean Nouvel pour le musée parisien permet de comprendre qu’en se manifestant au niveau du processus de conception du projet architectural, la comparaison architecture / musique peut passer d’un programme à un autre. Mais au-delà de cette simple relation, la réunion entre ces deux arts, architecture et musique, apparemment fort éloignés l’un de l’autre, symbolise aujourd’hui la conception du monde contemporain désormais moins lié à la religiosité qu’à l’art : l’architecture et la musique incarnent peut-être désormais une forme de « substitut du sacré » [3] et, ainsi qu’on peut l’espérer, une ouverture pour l’avenir.
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1] Boulez (Pierre), « En France, on fait plus pour les musées que pour la musique », propos recueillis par Jacques Doucelin, dans Opéra Magazine n°9, Juillet-Août 2006, p. 9.
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2] Entretien, Le Monde, 14 Août 2005
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3] Gauchet (Marcel) « L’art, substitut du sacré », dans Cité musiques n°55, septembre à décembre 2007, p.7.