AUDITORIUM ESPAGNE

La salle idéale s’entend donc comme étant au service de la musique, de ses musiciens et ouverte sur la ville. Que nous soyons donc encore loin du modèle
idéal en France est une évidence.Prendre en compte l’ensemble de ces données
est néanmoins essentiel. C’est à ce prix que l’on pourra construire en France des salles lui permettent de faire consensus entre décideurs et financeurs, professionnels et public, sur : la reconnaissance du travail des orchestres comme devant bénéficier de conditions qui en permettent le plein épanouissement, la nécessité pour le public de trouver dans les salles de véritables lieux d’accueil, qui accompagnent son plaisir musical et lui donne l’envie de revenir, toujours plus nombreux.

Espagne : des salles de concerts exemplaires
(conférence et débat 2004)

L’ Espagne offre l’exemple d’une politique volontariste d’aménagement culturel du territoire. José Manuel Garrido décrit un plan ambitieux de construction de salles, initié par le gouvernement espagnol au milieu des bannées 80. Aujourd’ hui, plus de 20 capitales régionales disposent d’un auditorium permettant d’écouter un concert symphonique dans des conditions excellentes. Le plan national a généré un véritable cercle vertueux: plusieurs villes n’ayant pas bénéficié du plan ont souhaité se do ter d’infrastructures musicales ; la construction de salles a suscité la création d’orchestres et le perfectionnement des orchestres existants.

Après avoir retracé l’essor des orchestres espagnols depuis la fin du franquisme, Abili Fort dresse un bilan optimiste de leur situation actuelle : un financement très majoritairement public qui témoigne de l’engagement des collectivités locales, un réseau national particulièrement dense, un public fidèle et en constante augmentation.

José Manuel Garrido
Directeur général du Teatro de Madrid

Abili Fort Manero
Directeur général de l’Orquestra Simfònica de Balears

Interventions présentées par
George Schneider,
Directeur général de l’Ensemble orchestral de Paris



[…]Au risque de me répéter, je rappellerai une chose : quel que soit le talent des musiciens qui composent un orchestre ou du chef qui les dirige, il s’exerce au sein d’un instrument qui rend tout possible ou impossible, et qui s’appelle la salle de concerts. C’est un élément absolument indispensable à l’expression de la musique. Tant que dans notre pays, il n’y aura pas la volonté politique de se saisir de ce problème, au niveau de l’Etat et des collectivités territoriales, la vie musicale marchera sur un seul pied. Il est presque désespérant de constater que l’argent investi dans la vie musicale française risque d’ être employé à perte.

Pour sa part, l’Espagne, depuis trente ans, a pris les choses en main: au moins 50 salles ont été construites, toutes plus belles les unes que les autres. Aucune ne correspond à ce que nous connaissons sous la dénomination de salles polyvalentes, dans lesquelles à force de vouloir tout faire, on ne fait rien de bien. Pour nous aider à comprendre comment ce miracle s’est opéré, je cède la parole à José Manuel Garrido.

José Manuel Garrido,
Directeur général du Teatro de Madrid

Je vous remercie de m’avoir invité à participer à votre conférence, pour partager ainsi avec vous cette expérience très importante qui s’est développée dans mon pays depuis les années 80, à travers le Plan national des auditoriums. Ce plan a été le moteur essentiel de l’essor récent de la musique en Espagne. Il est aujourd’ hui tellement enraciné que toutes les villes espagnoles aspirent à avoir un auditorium.

Avant de commencer, j’aimerais souligner que j’ interviens à titre personnel : je ne représente ici aucune instance du gouvernement, même si j’ai été invité pour avoir été l’un des initiateurs du Plan national des auditoriums, en tant que directeur général de la musique et du th é â tr e, puis sous - secrétaire du ministre de la Culture entre 1982 et 1992. Depuis dix ans, en effet, je me consacre à la production théâtrale et de danse. Je suis directeur du théâtre de Madrid, un théâtre spécialisé dans la danse qui est propriété municipale mais sous gestion privée ; je dirige également le Festival de théâtre des régions autonomes.
Au cours des dernières décennies, la situation de la musique en Espagne a donc considérable
ment évolué: les auditoriums et les orchestres se sont multipliés, des centaines de théâtres ont été réhabilités et peuvent désormais accueillir des représentations musicales ou lyriques.

Quel a été le point de départ de cette transformation?

Durant la majeure partie du X Xe siècle, très peu de salles ont été construites en Espagne. On peut mentionner le Filarmónica de Bilbao au début du siècle, le Palau de la Música Catalana à Barcelone construit en 1918 par l’architecte Domènechi Montaner, le Filarmónica d’Oviedo construit en 1944 par l’architecte Emilio García Martínez, et l’auditorium de Palma de Majorque, construit à la fin des années 60 par Marcos Ferragut.

A Madrid, le gouvernement de Franco a décidé dans les années 60 de reconvertir le Teatro Real en salle de concerts. Je précise qu’à l’époque, il existait un fort courant d’opinion en faveur de la réhabilitation de ce bâtiment en opéra, conformément à sa vocation d’ origine, mais cette option n’avait pas été retenue. Le Teatro Real est alors devenu le centre de la vie musicale madrilène, jusqu’à la construction de l’auditorium national de musique il y a quelques années.
En 1978, au début de la transition politique, une autre salle a également été construite : le théâtre Manuel de Falla à Grenade. José García de Paredes, l’architecte de ce bâtiment, est peut-être le premier à s’être spécialisé dans la construction d’auditoriums. Il a été particulièrement influencé par Hans Sharoum.

Tel était le panorama des salles espagnoles en 1982. L’ offre musicale était concentrée à Madrid et Barcelone. Quelques orchestres parvenaient
à survivre en province, comme à Bilbao ou Oviedo. Des festivals comme le Festival international de Grenade, celui de Santander ou d’ autres plus modestes tentaient de pallier l’absence d’une offre musicale structurée et régulière. Le changement est d’abord intervenu à Madrid, où ceux qui réclamaient depuis plusieurs années la création d’une salle d’op é ra ont finalement été entendus. Madrid était en effet la seule capitale européenne à ne pas disposer d’Opéra. Dès le départ, l’idée de construire une nouvelle salle financée par l’Etat a été écartée. Il a donc été décidé de reconvertir, une fois encore, le Teatro Real, afin que celui - ci retrouve la vocation lyrique qui avait présidé à sa construction, au X I X
e siècle.
La reconversion du Teatro Real n’était pas une opération facile, puisque ce bâtiment abritait le siège des deux compagnies nationales de ballet,
le conservatoire de musique de Madrid, l’école des arts dramatiques de Madrid et le siège de l ’ Orchestre national d’Espagne. Il fallait donc trouver ou construire des centres aptes à accueillir ces différentes institutions. C’est dans ce cadre qu’a été entreprise la construction d’un auditorium à Madrid. Il est important de rappeler le contexte général de l’époque : l’Espagne était en train de connaître un processus de décentralisation approfondie, qui a abouti à la création des régions autonomes (Comunidades autónomas ).

Cette évolution a largement déterminé les politiques culturelles de l’époque puisque dès le départ, l’un des principes fonda mentaux du Plan national des auditoriums était le partage des responsabilités entre les différents échelons administratifs: ministère de la Culture, municipalités, provinces et régions autonomes.

Le ministère de la Culture a joué un rôle important, notamment en participant financièrement aux projets et en intervenant dans le choix des architectes. Cependant, dans la plupart des cas, la gestion était déléguée à l’administration qui allait recevoir le projet, à savoir les municipalités ou les régions autonomes. Aucune formule“ mathématique” n’a été appliquée : la participation financière de l’administration centrale était plus ou moins élevée, en fonction des capacités d ’ investissement des autorités locales. Chaque projet était fait “sur mesure ”. Le Plan national des auditoriums est le plus ambitieux jamais réalisé pour la musique en Espagne. Ses résultats apparaissent aujourd’ hui extrêmement positifs, en dépit de quelques erreurs de parcours. Ces nouvelles infrastructures
musicales ont en effet permis d’entendre des orchestres dans plus de 20 capitales régionales et dans des conditions excellentes. Par ailleurs, la création de nouveaux orchestres ou le perfectionnement des orchestres existants est devenu un impératif, permettant ainsi laconstitution d’un tissu musical particulièrement dense.



Nous pourrions, en termes évolutionnistes, nous demander si la fonction détermine l’organe ou si l ’ organe détermine la fonction: est -ce la poule qui fait l’oeuf ou l’oeuf qui fait la poule ?
L’ apparition d’un espace voué aux activités musicales peut être effectivement le fruit d’une demande, mais les politiques culturelles ne doivent pas se limiter à satisfaire des besoins identifiés a priori. Il a été démontré que l’existence d’ un auditorium proposant une programmation régulière à une population déterminée crée, d’elle même, une demande que parfois l’on ne soupçonnait pas.
C ’ est ce qui s’est passé au Teatro Real à Madrid. Cette salle est aujourd’ hui devenue indispensable pour la ville. Elle sert même pour des opérations de marketing: que ferait le jambon Jabugo sans le Teatro Real ! Plus sérieusement, la création d’un auditorium contribue de manière décisive à la formation d’un public et enrichit par elle - m ê me la vie musicale d’une ville.

Le Plan national des auditoriums a été rendu public en 1985, Année européenne de la musique. Cette même année a été annoncée la reconversion du Teatro Real. Je me souviens des critiques d’un directeur d’orchestre espagnol selon lequel il ne fallait pas construire d’auditoriums mais plutôt aider les orchestres. Vingt ans après, je pense que si je rencontrais à nouveau ce directeur, il conviendrait avec moi que le panorama musical espagnol a considérablement changé et qu’ une part importante de cet essor est due à la construction d’infrastructures. Même si, bien évidemment, des problèmes persistent toujours en Espagne, notamment dans le domaine de l’éducation musicale. Pour saisir l’ampleur du projet, il faut également mentionner l’existence d’un Plan de réhabilitation des théâtr es publics, parallèle au Plan national des auditoriums. Ce plan est né d’un accord tripartite entre le ministère des Travaux publics, le ministère de la Culture et les municipalités qui sont les propriétair es des théâtres.

Dans ce cadre, plus de 100 salles ont été réhabilitées et un réseau de théâtres a été constitué .
Ces bâtiments accueillent parfois des activités musicales, notamment dans les villes qui ne disposent pas d’un auditorium exclusivement dédié à la musique. L es effets directs du plan national ont donc été la création d’orchestres, des espaces musicaux stables dans les villes, une augmentation de l ’ offre et de la production musicale. Mais ce plan
a également eu des effets indirects : par mimétisme, de nouvelles salles ont été construites ou sont en train d’être construites en dehors du plan national, l’initiative provenant des régions autonomes en collaboration avec des municipalité s. C’est notamment le cas de Saragosse et de La Corogne, qui ont des auditoriums magnifiques. La spécialisation des auditoriums sur des activités strictement musicales dépend des infrastructures existantes. Dans les grandes villes qui possèdent, entre autres, des équipements spécifiques pour le théâtre et la danse, l’auditorium est très spécialisé. En revanche, dans des villes plus petites, l’auditorium peut éventuellement être utilisé pour les arts scéniques ou comme palais des congrès.

Finalement, la principale raison du succès du Plan national des uditoriums est le travail en commun des différentes administrations espagnoles, au - delà des divergences politiques, chacune ayant un rôle bien défini.
La question est aujourd’ hui de savoir ce que nous allons faire de ces infrastructures... Sans développer ce sujet, je souhaite vous soumettre
quelques interrogations:
comment gérons nous ces structures?
Y a-t-il de l’argent pour entretenir les salles ?
Quel type de gestion menons nous?
S’agit - il d’une gestion publique, privée ou mixte?
Qui doit diriger ces théâtres: le directeur artistique ou le gestionnaire ?
Un tel débat doit être mené dans mon pays, afin de rentabiliser les efforts considérables qui ont été réalisés depuis vingt ans.

Abili Fort
Directeur général de l’Orquestra Simfònica de Balears

En très peu de temps, la création ou la consolidation des orchestres dans notre pays a été extraordinaire. Nous sommes passés d’un pays
qui ne comptait pas sur la scène orchestrale internationale à un pays à la hauteur de n’importe quel autre en Europe. Naturellement, il nous manque la tradition, mais nos orchestres réalisent des tournées et enregistrent des disques comme n’importe quel orchestre européen.

Après un rapide historique, je présenterai quelques données sur la situation actuelle des orchestres espagnols.

Malgré le chaos et la misère qui régnaient dans le pays après la guerre civile, le pays a vu naître trois orchestres en quelques années : l ’ Orchestre national d’Espagne en 1940, l’orchestre de Valence en 1943 et l’orchestre de Barcelone en 1944. Il faut ensuite attendre presque vingt ans pour qu’ en 1966 soit créé l’Orchestre de la radio télévision espagnole à Madrid. Il existait d’ autres orchestres, six tout au plus, mais qui

n’ avaient qu’ un statut semi - professionnel. La vie artistique de ces orchestres était plutôt langoureuse et médiocre comparée à celle des

orchestres européens. Très irrégulières, ces formations dépendaient exclusivement du niveau du chef d’orchestre qui les dirigeait.

Leur financement provenait toujours des fonds publics. Les quatre orchestres subventionnés étaient constitués d’un corps de fonctionnaires.

De ce fait, et depuis le tout début déjà, ces orchestres n’étaient pas très concurrentiels. Jusqu’à récemment, l’opinion des mélomanes

était que tout orchestre étranger était meilleur qu ’ un orchestre espagnol. Une opinion qui heureusement a beaucoup changé de nos jours.

Cependant, le fonctionnariat a permis à ces orchestres de survivre, même dans les périodes les plus sombres. Avec la transition démocratique initiée en 1978 s’ est ouverte une nouvelle étape pour le pays et pour la musique. Une véritable explosion culturelle s’est produite : en quelques années, nous avons rattrapé quarante ans de dictature. Le transfert de la culture aux régions autonomes ainsi que l’amélioration de la situation économique ont encouragé les responsables politiques à créer ou renforcer les orchestres symphoniques sur leur territoire. La situation n’est

pas comparable à la planification minutieusement préparée de Marcel Landowski en France dans les années 60: en Espagne, il n’y a pas eu de planification générale, chaque région autonome étant libre d’utiliser ses compétences. Actuellement, parmi les 16 régions autonomes existantes, quatre seulement n’ont pas d’orchestre : Aragon, Cantabrie, Castille La Manche et La Rioja. Mais par exemple, Saragosse et Santander, qui sont les capitales d’Aragon et de Cantabrie, ont une salle de concerts.

En 1982 naît l’orchestre d’Euskadi à Saint - Sébastien. Plus tard, entre en force celui de Bilbao. D’autres orchestres sont créés pendant ces années, comme ceux des Asturies, de Malaga, de Cordoue, de Grenade et de la région autonome de Madrid. Ils renforcent ceux de Barcelone, Valence, Palma de Majorque, Tenerife et Las Palmas. Dans certains cas, une structure ancienne est reprise et renouvelée, tandis que dans d’autres, la structure ancienne disparaît au profit d’une autre complètement nouvelle.

Dans les années 80, une activité frénétique agite le monde de l’orchestre espagnol. Les besoins des orchestres en musiciens sont très importants,
mais les conservatoires, ancrés dans le passé, ne peuvent pas répondre à cette demande. L’inanité de ces institutions est alors mise en évidence. La nécessité d’importer des musiciens conduit à une avalanche de musiciens étrangers, qui provoque l’aversion des conservatoires face aux orchestres et, de ce fait, de l’opinion publique. Ainsi, pendant quelques années, les orchestres ont - ils dû subir les critiques d’une opinion qui condamnait l’engagement de musiciens étrangers au détriment des musiciens espagnols. Surtout pour les instruments à cordes. Mais la réalité a fini par s’imposer et les critiques ont cessé : le manque de musiciens était manifeste et l’amélioration du niveau de professionnalisme a été reconnue. Ceci a conduit à la réorganisation des conservatoires qui nous permet, à présent, d’avoir un plus grand nombre de musiciens espagnols de niveau européen.
Sur le terrain éducatif, la création du jeune Orchestre national d’Espagne a beaucoup contribué à ce changement d’opinion. Grâce à des bourses, plusieurs générations de jeunes musiciens ont eu l’occasion d’aller étudier à l ’étranger, ce qui a contribué à une considérable amélioration du niveau.

C’ est aussi pendant cette même période qu ’est né le Plan national des auditoriums. Les nouvelles salles, en plus d’accueillir des orchestres
déjà existants, ont provoqué la création d’orchestres nouveaux tels que celui de La Corogne, Séville ou Murcie.

[…]

L’ avenir est toujours incertain mais si nous devions faire des prédictions, nous aurions deux atouts. Le premier est que le public de nos orchestres ne cesse d’augmenter. Le deuxième est que, puisque nous sommes entrés plus tard dans le monde culturel musical, nous pouvons apprendre de l’expérience des autres et nous préparer aux problèmes qui peuvent surgir. Avec ces deux éléments, nous ne pouvons qu’être optimistes face à l’avenir proche.

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