LE BOLERO
Danse espagnole (bolero : celui qui danse le bolero ; vient de bolla : boule), à 3/4, dans un tempo modéré, d'un style calme et noble ; on l'exécute avec chant et castagnettes, voire guitare et tambour de basque. Le boléro semble avoir été connu au XVIIe siècle, mais c'est vers 1780 qu'Antón Boliche et Sebastian Cerezo en enrichirent la forme primitive. Il a disparu comme danse populaire. Il comprenait cinq figures : paseo (promenade), traversia (premier changement de place), diferencia (deuxième changement), finale (retour à la place du début), bien parado (attitudes étudiées et poses conclusives). Le boléro a inspiré maints compositeurs, notamment les Espagnols Murguia (1758-1836) et Sors (1778-1839), avant Chopin (opus 19) et Ravel. Celui-ci écrivit à ce sujet : « En 1928 [...], j'ai composé un boléro pour orchestre. C'est une danse d'un mouvement très modéré et constamment uniforme, tant par la mélodie et l'harmonie que par le rythme, ce dernier marqué sans cesse par le tambour. Le seul élément de diversité y est apporté par le crescendo orchestral. » Ce ballet en un tableau, où le thème musical est repris dix-neuf fois en une sorte de grande passacaille, fut créé à l'Opéra de Paris, le 20 novembre 1928, dans une chorégraphie de Nijinskaïa. Signalons enfin que le boléro est une chanson et une danse cubaines au rythme binaire et syncopé, altération vraisemblable du boléro importé d'Espagne.
CACHUCHA
Chant et danse populaires espagnols, répandus en Andalousie, de rythme ternaire (3/4, 3/8) et de tempo modéré, proches du boléro. La cachucha (parfois francisée en cachouche) est chantée et dansée en solo, par un homme ou par une femme, qui joue des castagnettes et qu'accompagne un guitariste. Cette danse fut fort en vogue en France au début du XIXe siècle. Lors de la création à l'Opéra de Paris du ballet Le Diable boiteux (1836), de Casimir Gide, la célèbre danseuse autrichienne Fanny Elssler (1810-1884) interpréta superbement la cachucha que contient cette œuvre.
CANARIE
Danse d'origine espagnole (îles Canaries), qui fut adoptée en France et connut une très grande vogue au XVIe siècle. Le rythme ternaire (3/8, 6/8, 6/16, 3/4) de la canarie s'apparente à celui de la gigue, dans un tempo très rapide ; la première note de chaque mesure est accentuée (rythme pointé « à la française »). Cervantès nous apprend que le canario est dansé par une seule personne ; mais, en France, la canarie fut une danse de couple. T. Arbeau en donne une savoureuse description (Orchésographie..., 1589), tout en soulignant son origine étrangère et son caractère osé ( !) : « ... et noterez que les dits passages [c'est-à-dire les pas] sont gaillards et néanmoins étranges, bizarres et ressentent fort le sauvage à voir le plaisir qu'y prennent les spectateurs ». Purcell, Lully, Couperin, Muffat, Cousser écrivirent des canaries.
CASTAGNETTTES
Instrument de percussion idiophone à son indéterminé, très populaire en Espagne. Il se compose de deux morceaux de bois dur, en forme de coquille, percés et reliés par une cordelette. Pour jouer, on entrechoque une castagnette aiguë, la hembra (femelle), et une castagnette plus grave, le macho (mâle). Dans les danses folkloriques, on se sert de deux paires à la fois. Dans l'orchestre symphonique, on fixe le jeu de castagnettes à un manche en bois que l'on secoue à la manière d'un sistre. Wagner, Richard Strauss, Glinka, Chabrier et, naturellement, les compositeurs espagnols s'en sont servi les premiers. Il existe aussi des castagnettes en fer, à manche et sur socle.
CHACONNE
En Espagne au XVIe siècle, danse populaire à trois temps très animée ; elle s'accompagne avec des castagnettes et revêt alors un certain caractère érotique. On la dit originaire du Mexique, mais il semble que ce soit au Portugal qu'apparaissent, dans le genre ostinato, le passo forçado et les danses dérivées : la folia, le vil ao et la chacota qui précèdent la chacona espagnole. À l'époque baroque, c'est une danse de cour à 3/4, à tempo lent, avec variations contrapuntiques sur un ostinato de quatre ou huit mesures, en une phrase complète mélodico-harmonique (anacrouse-apex-désinence). La basse contrainte dans la chaconne instrumentale apparaît en Italie avec Frescobaldi, B. Pasquini, F. Mannelli et T. Merula. On peut en rapprocher le ground des Anglais. Elle est composée pour elle-même ou s'intègre dans une suite ou une partita. Elle figure dans les ballets de Louis XIII, les opéras de Lully. Vocale (chez Monteverdi, Purcell) ou instrumentale (Couperin, Pachelbel, Élisabeth Jacquet de La Guerre, Muffat, Corelli), elle connaît une grande vogue. Sa structure permit aux génies de la variation de s'épanouir : de Buxtehude (chaconnes majestueuses pour orgue) à Krenek et Busoni, en passant par Bach (chaconne pour violon), Rameau (Dardanus), Beethoven (Variations en ut mineur), Brahms (IVe Symphonie). On la rapproche de la passacaille avec laquelle elle se confond parfois.
FANDANGO
Danse populaire espagnole, qui peut être chantée. Connu dès le XVIIe siècle, le fandango est de rythme ternaire (3/4) et de tempo assez rapide (allegretto) ; il était autrefois un 6/8 lent. L'étymologie arabe du terme semble douteuse ; on lui préfère une origine africaine. La danse fut introduite en Europe par les Espagnols qui revenaient des Indes occidentales après avoir fréquenté les Noirs déportés de Guinée. Le couple de danseurs qui exécute le fandango évolue sans se toucher, en jouant des castagnettes, tandis qu'un guitariste accompagne et, parfois, chante. Le fandango mime la déclaration d'amour et décrit ordinairement les phases suivantes : hommage à la dame, refus de celle-ci, essai de séduction et fuite de la jeune femme, colère et rage du danseur, seconde déclaration de l'homme, acceptation de la partenaire. Il existe plusieurs variétés locales de fandangos : malagueña, rondeña, granadina, murciana, asturiana, etc. En Europe non espagnole, la vogue du fandango fut considérable : Gluck, Mozart, Boccherini en écrivirent au XVIIIe siècle, Rimski-Korsakov introduisit un « fandango asturiano » dans le Capriccio espagnol. Quant aux compositeurs de la péninsule Ibérique, on ne compterait plus les leurs : Albéniz (Iberia), Granados (Goyescas), Falla (Le Tricorne), Ernesto Halffter (Sonatina).
HABANERA
Chanson et danse cubaines de rythme binaire 2/4 (que l'on appelle aussi havanaise, du nom de la capitale de Cuba). La habanera fut très populaire dans l'Europe romantique. L'origine en est controversée. Si elle fut constituée comme telle à Cuba, est-elle de souche purement afro-cubaine ou bien, ce qui est plus vraisemblable, plonge-t-elle aussi ses racines dans des rythmes espagnols importés lors de la conquête de l'île ? Il est significatif que le plus célèbre compositeur cubain de habaneras, Ignacio Cervantes (1847-1905), qui fut l'élève de Marmontel et d'Alkan, les appelle contradanzas ou contradanzas criollas (cf. ses Danzas cubanas). L'Espagnol Sebastián Iradier (1809-1965), qui vécut à Cuba pendant quelques années, écrivit une célèbre habanera (El Arreglito, 1840), qui fut introduite par Bizet dans Carmen. En Espagne, la habanera est seulement dansée sur scène. Saint-Saëns (Havanaise), Chabrier, Albéniz, Debussy, Aubert, Falla, Ravel écrivirent des habaneras.
JOTA
Chanson et danse populaires espagnoles, de rythme ternaire (3/4, 3/8), de tempo vif et trépidant (moins rapide cependant quand elle est seulement chantée). Elle est fort répandue en Espagne, au Portugal, aux Baléares et aux Canaries (isa). La légende attribue la jota à un Arabe du XIIe siècle, Aben Jot ; en fait, elle n'est pas antérieure au XVIIIe siècle et n'aurait donc aucune origine arabe directe. On connaît de nombreuses variétés de jotas, la murciana, la valenciana, la mahonesa, mais la jota aragonesa semble la plus pure. Un ou plusieurs couples, les danseurs se faisant face, les bras levés, dansent sur place tout en variant les positions, en s'accompagnant de rondallas (guitares, bandurrias, cymbales, tambour de basque) et de castagnettes. L'estribillo - espèce de refrain - fait suite à une introduction instrumentale ainsi qu'aux couplets. La jota aragonesa a inspiré Liszt, Glinka, Pablo de Sarasate (1844-1908) ; Léonide Massine s'en inspira dans la chorégraphie du Tricorne. Raoul Laparra (La Jota), Saint-Saëns (La Jota andalouse), Ravel (la jota de la Feria) écrivirent sur son rythme.
MALAGUENA
Danse espagnole d'esprit flamenco, originaire de Málaga (d'où son nom). C'est une forme locale du fandango, comme le sont les rondeñas, les granadinas, les murcianas, nées respectivement à Ronda, à Grenade et à Murcie. La malagueña peut alterner avec le chant et s'accompagner de castagnettes. Elle est construite sur un rythme ternaire. C'est parfois une pièce seulement instrumentale. Son harmonie est caractérisée par sa cadence, qui commence et finit par la dominante du mode mineur. Ravel en a écrit une pour sa Rhapsodie espagnole.
MORESCA
Danse populaire espagnole, d'origine arabe (maure), la moresca (ou moresque) fut en vogue du XVe au XVIIe siècle dans le sud de l'Europe (Portugal, Espagne, Italie), puis en France et dans les Flandres. Lope de Vega, dans Maestro de danzar, la nomme morisca. Elle est de rythme tantôt binaire, tantôt ternaire. Elle s'exécutait en armes et les danseurs s'attachaient des grelots aux poignets et aux chevilles, détail qui la fit rapprocher de la morris dance anglaise, elle aussi connue dès le XVe siècle. Les danseurs, se faisant face, évoluent simplement en va-et-vient rapides. La moresca était dansée lors de solennités (processions de la Fête-Dieu en 1664 à Lyon, en 1665 à Milan). Une moresca termine l'Orfeo de Monteverdi.
La mauresque, en revanche, est une danse provençale, de rythme ternaire, exécutée à l'époque du carnaval, et dont le nom laisse penser qu'elle aurait une origine maure. La deuxième des trois pièces des Ombres de Florent Schmitt est intitulée « Mauresque » (pour piano, puis pour orchestre).
SARABANDE
Danse populaire espagnole à trois temps vifs (« folle sarabande », « sarabande endiablée »), certainement antérieure à l'ère chrétienne. Elle illustrait les rites de fécondité. C'est sans doute en raison de son caractère lascif (mimique sexuelle et thème phallique affirmés) et parce que les femmes, s'accompagnant de castagnettes et de tambour de basque, y jouent un rôle essentiel qu'elle fut interdite à Madrid en 1583. De 1580 à 1625, elle fut pourtant fort en vogue. Au XVIIe siècle, si elle reste vive et gaie en Espagne et en Italie, elle entre dans la suite instrumentale des autres pays européens avec un tempo lent et grave, voire hiératique. Elle comprend alors deux fois huit mesures, chacune commençant par un temps fort suivi d'un second ordinairement pointé. Elle préfigure le mouvement lent des sonates et des symphonies.
SARDANE
Danse populaire, qui peut être accompagnée de chant. Connue, dès le XVIe siècle, en Catalogne et dans le Roussillon, la sardane est de rythme binaire (2/4 ou 6/8), de tempo variable, en général progressif avec accelerando ; elle comprend des pas courts (huit mesures) et des pas longs (seize mesures). Elle est exécutée en cercle, sous forme de ronde ; danseurs et danseuses, alternés, se tiennent la main et lèvent les bras. L'orchestre traditionnel catalan (cobla) accompagne la danse : flabiol (flûte à bec jouée d'une seule main ; sur les sept trous, cinq servent au doigté), tambori (tambour de poignet à deux membranes, dont la caisse mesure environ 7 Œ 7 cm) et instruments à vent dont la tenora (espèce de hautbois populaire, assez criard).
Après 1850, Pep Ventura recueillit des airs catalans et remit en honneur cette vieille danse, qui est encore exécutée de nos jours. Citons la fameuse Sardana de Pablo Casals pour cinquante violoncelles.
TONADILLA
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle apparut à Madrid une nouvelle forme musicale qui devint vite très populaire, la tonadilla escénica (tonadilla est un diminutif de tonada, qui signifie « chanson » en espagnol). Il s'agissait d'une sorte d'opéra-comique miniature, durant au plus une vingtaine de minutes, et qui faisait office d'interlude - à l'instar des intermezzi italiens - entre les actes d'un ouvrage théâtral plus important : comedias, drames ou tragédies.
On a longtemps pensé que la tonadilla avait été inventée en 1757 par le compositeur, chef d'orchestre, flûtiste et hautboïste catalan Luis Misón (ou Luis Missón, 1727-1766). Mais, selon le musicologue José Subirá (1882-1980), c'est en fait Antonio Guerrero (1700 env. -1776) qui aurait, quelques années auparavant, composé les premières tonadillas, parmi lesquelles Los señores fingidos (1753), consistant en deux tonadillas associées. Quoi qu'il en soit, les succès remportés par les tonadillas de Misón l'encourageront à en composer un grand nombre, probablement une centaine.
La tonadilla a joué au XVIIIe siècle un rôle essentiel dans l'évolution de la musique espagnole. Apparue en réaction contre la dictature des chanteurs italiens et de l'opéra italien en général, elle ne pouvait être interprétée que par des artistes nés et élevés en Espagne, et plus particulièrement en Andalousie. L'esprit hispanique est reflété dans la tonadilla par ses mélodies, par ses rythmes - fandango, folía, jota, seguidilla, tirana... - et par l'utilisation d'instruments typiquement espagnols, comme la guitare et les castagnettes. La tonadilla a conféré aux compositeurs un admirable sens de la liberté : ceux-ci pouvaient se permettre toutes les variétés de chansons et de danses et, quels que soient les rythmes inventés, aussi étranges puissent-ils être, ils étaient assurés de recueillir les plus chaleureux applaudissements de la part du public.
La tonadilla est une forme souple et d'une grande variété. Elle ne comporte parfois qu'un seul personnage (tonadilla a solo), mais peut en compter deux, trois, quatre et davantage - elle est, dans ce dernier cas, parfois appelée tonadilla general -, et on y introduit occasionnellement des chœurs. L'exemple le plus complexe de tonadilla semble avoir été La plaza de palacio de Barcelona (1774) de Jacinto Valledor y la Calle (1744-1809 environ), qui sollicite douze chanteurs.
Les sujets des tonadillas étaient à l'origine tirés d'anecdotes de la vie quotidienne des gens simples, mettant en scène des paysans, domestiques, aubergistes, soldats, barbiers, gitans... Comique et souvent très satirique à ses débuts, elle évoluera vers des thèmes galants et mythologiques, et se mettra à moraliser et à prêcher. Au plus beau moment de la tonadilla, entre 1770 et 1790, des compositeurs comme le Catalan Pablo (Pau) Esteve (Estebe) y Grimau (1734-1794), le Navarrais Blas de Laserna (1751-1816) et des librettistes comme Ramón de la Cruz (1731-1794) allaient encore chercher leur inspiration dans les quartiers populaires de Madrid. On notera que, dans sa jeunesse, Esteve méprisait la tonadilla : selon lui, les compositeurs qui s'adonnaient à ce genre étaient perdus de réputation. Mais, sous l'influence de Ramón de la Cruz et de quelques autres, il s'y essaya lui-même, avec un succès tel qu'il fait partie de ceux qui portèrent la tonadilla à son plus haut développement. La tonadilla connaîtra une éclipse au XIXe siècle, avant de renaître au XXe, principalement grâce à Rafael Mitjana y Gordon (1869-1921) et, surtout, à José Subirá.
C'est des œuvres de Ramón de la Cruz et de Blas de Laserna (1751-1816) que s'inspirera Enrique Granados pour son cycle de douze Tonadillas en un estilo antiguo (1910-1911) ainsi que pour son opéra Goyescas (composé entre 1913 et 1915, créé au Metropolitan Opera de New York le 28 janvier 1916), évocation de toute la poétique de Madrid à l'époque de Ramón de la Cruz et de Goya.
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